Fragment #65 - Timidité

Douche brûlante. Je suis tout nu dans la cabine et le jet chaud fouette mon corps avec délice. Toute la nuit, j'ai joui à n'en plus pouvoir. Nicolas me rejoint sous l'eau et se colle contre moi, et aussitôt mon sexe répond à sa présence par une érection. Je le vois me prendre une fois encore contre le mur carrelé de blanc, et je vois mon visage déformé dans la céramique couverte de gouttelettes, et je souris de plaisir. Tu vois Robin, je te survis.
Nous nous rhabillons dans le salon. Il est tard, et déjà la nuit couvre les rues d'une fièvre parisienne. Nicolas me dit que nous avons rendez-vous au restaurant avec un ami à lui, et que nous allons être en retard. Stressé, je me hâte d'enfiler mon pantalon et mes chaussettes.
« T'inquiète pas, à Paris tout le monde est toujours en retard. »
Nicolas me paye un ticket de métro et nous prenons la direction de Montmartre. Je regarde défiler les stations et les gens, les noms et les numéros. Je me perds dans ce dédale souterrain gigantesque, et je doute de pouvoir m'y retrouver. Comme pour répondre à cette peur soudaine qui m'envahit, Nicolas me lance :
« Je bosse toute la semaine, Maël s'occupera de toi, t'en fais pas. »
Je ne m'en fais pas. Je me sens tout petit et perdu dans cette ville immense, au milieu de tous ces gens. Je pourrais retrouver Julian et Alexandre, mais je ne leur ai pas parlé de ma venue et je n'en ai pas envie pour l'instant. J'ai besoin de me retrouver seul, du moins le plus loin possible de ce qui peut me rappeler Dijon.
Maël nous attend à la table du restaurant. C'est un grand garçon châtain aux yeux bleus et fins, qui me scrutent et me détaillent avec affection, comme si j'étais une petite peluche adorable. Nicolas et lui se comportent avec moi comme deux mamans attendries, et je ne sais pas si je trouve cette situation agaçante ou confortable. Je souris constamment, gêné, incapable de me sentir à l'aise et de m'exprimer par moi-même.
« Tu fais quoi dans la vie Lilian ? »
Je me tourne vers Maël, surpris qu'il m'adresse enfin la parole. C'est comme si je m'étais habitué à les écouter discuter, comme si je m'étais noyé dans leurs conversations, à force de me sentir étranger à leur relation.
« Heu... je suis étudiant en médecine.
- En quelle année ? Donc là t'es en vacances ?
- Heu... en première année, et non, je suis pas en vacances... »
Mon visage s'empourpre de honte. Qu'est-ce que je peux bien répondre à ça ? Même Nicolas ne sait pas ce qui s'est passé à Dijon, et je ne pense pas qu'il puisse se douter de quoi que ce soit. Heureusement, Maël semble assez perspicace pour sentir que je préfère éviter ce sujet.
« D'accord. Dijon doit être une ville vraiment superbe. Je ne sais pas si Nicolas te l'as dit mais je suis à ta disposition toute cette semaine si tu souhaites visiter quelque chose ou bien sortir.
- Oui il m'a dit... Mais je veux pas t'embêter non plus...
- Non non ! Tu sais je ne fais pas grand chose de mes journées. Ca sera vraiment avec plaisir.
- Pour moi aussi ! »
Si je n'étais pas rouge brique jusqu'à maintenant, c'est chose faite. Je ne voulais pas dire que- mais enfin, il doit bien avoir compris. Est-ce que je n'ai pas l'air adorable et candide ? Est-ce que l'on peut douter de ma naïveté ?
Des chaînes, des fouets, du sang. Les cris rauques des hommes et la douleur en rythme. Odeur pénitentiaire. Non, je ne suis pas innocent.
« Cool. Et sinon tu viens faire quoi sur Paris ? Visite touristique, sexuelle, familiale ?
- Hmm, besoin de changer d'air, surtout.
- D'accord. »
Maël se ressert un verre de vin. Nicolas reprend la parole, sans doute lassé de notre échange.
« T'as fait quoi de ta journée, toi ?
- J'ai été déjeuner en terrasse avec Babeth, et après on a tenté de voir la nouvelle expo sur l'Egypte antique au Louvre mais c'était trop chiant. Du coup on est allés se balader sur les quais.
- Sympa.
- Et vous une fois sortis du lit ?
- Oh, on avait rendez-vous au resto à Montmartre avec un ami. »
Maël éclate de rire. Je souris bêtement, fasciné par le son de ce rire et la beauté de son visage illuminé. Je ne crois pas avoir déjà vu un garçon aussi beau, et je ne suis pas sûr de le désirer. Je ne suis pas fait pour ce surplus de perfection. Je préfère la beauté conventionnelle de Nicolas, plus accessible, moins effrayante. Mon Dieu, est-ce que je suis vraiment en train de penser ça ? Ca doit être le vin qui corrompt mon esprit... Je ne devrais pas boire autant. Hier soir, Nicolas a abusé de moi après m'avoir enivré à la vodka et je n'ai pas su refuser. Son corps est entré en moi sans rencontrer de barrière. Mes mains se sont collées à lui et ont parcouru sa peau comme si nous ne nous étions jamais quitté. Je devrais me sentir sale, mais je n'y arrive pas.
« On prend un dessert ? propose Nicolas.
- Ouais, répond Maël, moi je prends un mi-cuit, vous commandez pour moi je vais aux toilettes. »
Cette phrase déclenche en moi un trop plein émotionnel, et mes yeux se chargent de larmes. Je repense à ce dessert que la mère de Robin nous avait préparé une fois, je revois les quatre petites saisons souffler sur le chocolat liquide pour le faire refroidir...
« Ca va Lilian ?
- Oui, ça va, dis-je en m'essuyant avec le coin de ma serviette, excuse moi, j'ai baillé et j'ai les yeux qui pleurent...
- T'es fatigué ? Tu veux qu'on rentre ?
- Comme tu veux...
- On aurait pu proposer à Maël de passer boire un verre.
- Vraiment c'est comme tu veux, c'est chez toi Nicolas, moi ça ne me dérange pas.
- Non, on fera ça une prochaine fois. J'ai bien envie de me retrouver seul à seul avec toi... »
Son regard pétille. Il sourit avec élégance. Je tente d'imiter cette assurance, mais ne parviens qu'à grimacer gauchement. Mes yeux se baissent d'eux-mêmes pour exprimer ma timidité.
A moins que ce ne soit ma manière à moi de vous apprivoiser.