Shedar
| Sujet: Fragment #6 - Avec une kalachnikov 11.04.08 12:08 | |
| Jeudi 21 décembre 2006 à Dijon Il fait froid. D’habitude je marche vite pour me réchauffer un peu. Aujourd’hui c’est parce que Déborah dirige l’orchestre. Allegro. Le froid semble l’aimer encore moins que moi. A l’arrêt j’hésiterais à l’entourer de mes bras qui bien qu’ils soient froids le sont bien moins que son corps. Mais c’est impossible de l’arrêter, donc pas nécessaire d’hésiter. Elle marche de plus en plus vite. Je ne peux pas croire que le froid en soit la seule explication. Non elle ne s’est jamais dopée, j’en suis certain. Mais hier je lui ai dit absolument tout ce que je savais à propos de la vieille, c’est-à-dire presque rien, et presque tout ce que j’en pensais, ce qui a pris beaucoup plus de temps. Je lui ai aussi montré les photos. Je crois qu’elle à ramassé toute la haine qui s’ennuyait au fond d’elle pour en faire une Excalibur à usage unique, où serait gravée sur chaque face de la redoutable lame la tranchante devise A Mort La Vieille. Si c’est le mélange du froid et de la haine qui lui a délivré une telle énergie, je tâcherai d’être particulièrement prudent lors de ma prochaine confrontation avec cette hyène de sensation. Déborah ne me regarde même pas lorsque je tourne la tête vers elle. On est loin de l’hypnose, elle semble carrément déterminée. A cet instant, l’irréfutable évidence demeurant dans l’impossibilité de cacher une épée dans une poche de pantalon est incroyablement rassurante. Un éventuel conflit opposant Déborah à la vieille me concernerait peut-être plus qu’elles. Les problèmes fémino-féminins sont d’une éprouvante complexité. Je prierais n’importe quel dieu pour ne pas y être mêlé. Même Athéna. Nous arrivons devant la maison de la vieille. Je m’apprête à sonner au portail mais Déborah a déjà pénétré dans l’antre de la sorcière en enfonçant le truc rouillé avec la vigueur d’un pompier. Elle offre une rafale de quatre coups de poing à la pauvre porte portant le maillot du dernier défenseur. La vieille traverse mon esprit avec une kalachnikov. Je décide alors de réfléchir encore un peu avant de rejoindre Déborah, qui s’acharne sur la porte pourtant innocente. Le chat fait discrètement son entrée, sortant des profondeurs du jardin délaissé. Il s’est assis à environ deux mètres de la scène de torture, et observe, calmement. Presque effrayant. J’interromps Déborah dans son combat pour la prévenir de cette présence originale. Elle se retourne immédiatement et s’élance dans les airs pour frapper le sol juste à côté du chat. Mais l’animal ne réagit pas. Ce n’est que quelques secondes plus tard, alors que tout autour est immobile, qu’il penche sa petite tête, interrogatif, fixant inlassablement la conquérante au fond des yeux. Des secondes identiques se succèdent, puis la guerrière s’apaise brusquement, sort en accrochant mon bras pour m’inciter à la suivre. J’attends une phrase de sa part, vainement. Un dernier coup d’œil vers la petite maison endormie et son chat de garde, et je rattrape Déborah. Le froid est désormais discret. Le reste nettement moins. Nous marchons ensemble jusqu’à ce que nos chemin se séparent. Piano. Déborah rentre chez elle. Moi, je vais marcher encore un peu. Au moins jusqu’à ressentir le froid. | |
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