Fragment #15 – S’il savait…

Je suis repassée chez moi en vitesse, ai essayé de planquer mon teint de zombie, sans grande réussite. Je ne me suis pas maquillée, ça ne sert à rien : je suis seule, et mes larmes dévasteront tout dès que je les autoriserai à sortir. Un coup d’œil dans le miroir, une grande respiration. J’arrive au Dion’ avec cinq minutes d’avance à peine, plus mon emploi du temps est serré, moins je réfléchis.
« Ah, voilà la plus belle !
- Salut, patron ! »
Apparemment, je ne fais pas assez bien semblant de sourire, car il me demande :
« Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
- Rien, rien. Je suis juste un peu… Embêtée que la fac soit toujours bloquée.
- Ah, bon. Ok. »
Je pense qu’il ne me croit pas, mais hors de question de le mettre au courant, il serait trop heureux de ne plus jamais avoir à supporter Sylvia, et j’aurais sûrement envie de l’étrangler sur-le-champ s’il osait faire une réflexion à son sujet.
Je m’installe derrière le bar, inspire profondément, et mes yeux s’emplissent à nouveau de larmes.
« Oh, tu sais, Lulla, je crois que je n’ai pas besoin de toi aujourd’hui, prend ta journée.
- Je vais bien, Louis. »
Je sens mes lèvres commencer à trembler. Fuck, pourquoi je n’ai pas reçu le don de contrôler mon corps ?!
« Ecoute, je ne peux pas te forcer à me dire ce qu’il se passe, mais quand je vois ma meilleure serveuse dans cet état… »
Je prends une grande respiration, et essaie de prononcer ces mots comme s’ils n’avaient aucun sens :
« Je ne suis plus avec Sylvia. Et… Et j’ai besoin de travailler, sinon je vais passer ma journée à me morfondre.
- Ok, c’est toi qui vois. »
Il hausse les épaules, résigné, et me tourne le dos. Je suis sûre qu’il pense « Cool, cette connasse a enfin laissé ma Lulla tranquille, elle ne lui apportait rien de bon, une saleté d’égoïste qui roule sur l’or, tsss ».
S’il savait tout ce que tu m’apportais…