Fragment #73 - Le garçon

Le débardeur que Nicolas m'a prêté me va un peu trop grand. Mais il me dit que je suis sexy, avec, alors je me promène dans les rues de Paris les épaules à l'air, profitant du soleil printanier qui pointe le bout de son nez. Je me promène, mais je ne flâne pas. Nicolas m'a fait comprendre que si je voulais rester chez lui, il fallait que je mette la main à la pâte. Alors je fais la vaisselle, à manger, le ménage. Lorsque l'appartement reluit suffisamment, je m'habille pour sortir et je me balade un peu -évitant Matthieu autant que faire se peut- histoire de faire connaissance avec cette ville que je n'aime pas, et dans laquelle, pourtant, je suis venu me réfugier. Le soir, Nicolas rentre du travail et me prend sans parler, juste pour se décharger de toutes les tensions accumulées au cours de la journée. J'obéis consciencieusement à mon rôle, sans jamais me plaindre. J'ignore ce que je suis devenu, une sorte d'esclave sexuel, un meuble peut-être. Peu importe.
Je rentre dans un supermarché pour faire quelques courses. Les placards et le frigo de Nicolas sont presque vides, et je suppose que mon initiative lui fera plaisir. A la caisse, je place mes achats sur le tapis roulant, lorsque mes yeux se posent sur un garçon de mon âge environ, qui arrive dans ma direction. Je le regarde et mes joues s'embrasent aussitôt. Corps athlétique, visage carré, regard rieur, cheveux ras. Il s'approche de moi en soutenant mon regard, hausse les sourcils en voyant que je ne cille pas, et passe un bras autour de mon épaule avant de lancer d'une voix virile :
« Salut mon mignon... »
Je ne réponds pas, tente même de me dégager, par réflexe. Il s'éloigne en riant, et disparaît de mon champ de vision. Les mains tremblantes, je tends ma carte de crédit à la caissière intriguée, paye, et emporte mes sacs. Qu'est-ce qu'il me voulait, ce mec ? Je ne le connais même pas, alors pourquoi m'aborder comme ça, en plein magasin ? Il n'avait même pas l'air homo, mais il semble avoir senti que je l'étais. Pour se moquer ? Est-ce que ça se voit tant que ça ? Je sors du supermarché, mes sacs appuyant férocement sur mes doigts.
Le garçon est là, posant à la James Dean, adossé contre un mur. Il fume une cigarette en me regardant d'un air amusé. Je m'approche de lui, le coeur battant à tout rompre.
« On se connait ?
- Non, et alors ?
- Ok. Tu m'aides à porter mes courses ?
- Si tu veux, hahaha. »
Ses mains larges et fortes attrapent la moitié de mes sacs et il se met à me suivre, sans jamais cesser de sourire. Je le mène jusqu'à l'immeuble de Nicolas, rue du Pélican, compose le code, monte les escaliers. Devant la porte, je pose les sacs pour chercher les clés, et je sens brusquement son odeur masculine me monter au nez, comme un parfum sexuel et torride. Aussitôt, un gonflement grandit entre mes jambes. J'ouvre la porte, il me suit à l'intérieur.
« Sympa chez toi dis donc.
- C'est pas chez moi, c'est un ami qui m'héberge.
- Haha, je vois...
- Tu vois quoi ?
- Rien rien.
- Qu'est-ce que tu me veux ? »
Il s'assied sur le canapé, jambes écartées, et penche sa tête en arrière en soupirant bruyamment. Sa pomme d'adam proéminente ressort de son cou, comme un appel à la débauche et au viol. Je reste là, devant lui, l'air coincé et les bras ballants. Ramener les courses jusqu'ici m'a fait transpirer et je sens le débardeur de Nicolas me coller à la peau. Une bosse énorme enfle entre les jambes du garçon, et je regarde ce tableau surexcitant sans oser bouger, tétanisé.
Il ouvre alors les yeux, me regarde, sourit.
« Je devrais rentrer. »
Sans que je puisse le retenir, le voilà qui se lève, s'approche de moi, pose une main sur mon épaule, me fait un bisou sur la joue, et disparaît en refermant soigneusement la porte.