Altaïr
| Sujet: Fragment #74 - Le papillon dépravé sort de son cocon 11.04.09 1:29 | |
| Jeudi 9 avril 2009 à Paris Le garçon n'a pas pu quitter mon esprit. C'est comme s'il y était encore, prisonnier de mon cerveau, et qu'il tapait aux barreaux pour essayer de s'enfuir. Car bien sûr, après de multiples tentatives pour le revoir -je suis retourné maintes et maintes fois dans ce même supermarché, travaillant mon physique avec excès dans le seul but de lui plaire, à lui et rien qu'à lui- il a fallu me rendre à l'évidence : notre rencontre n'était que le fruit d'un délicieux hasard, et plus jamais nous ne serions amenés à nous revoir. Une fois une telle pensée assimilée, il ne reste plus qu'une chose à faire : oublier. J'ai parfois, et ce depuis quelques temps, la douloureuse impression que je passe ma vie à courir après l'oubli. Oui, je suis en quête d'une incessante amnésie. Oublier mes peurs, oublier mes angoisses, oublier les horreurs et la mort. Je cherche à vider mon esprit de toutes ces choses qui me pourchassent, et, de ce fait, je m'abandonne dans l'ivresse et le sexe. Il me semble que je ne saurais plus baiser sans drogue. Les poppers, et, de temps à autres, la cocaïne, sont devenus les ingrédients nécessaires à un laisser-aller total (sans oublier l'alcool, je ne peux même pas bander si je ne bois pas). Évidemment, tout cela me fait changer du tout au tout. Je ne peux pas rester le Lilian modéré et sage que je me forçais à être jusqu'à maintenant -sans doute davantage par crainte que par conviction profonde- car ce Lilian-là a été avalé par un autre Lilian, plus sombre, obsédé par son contour, cherchant à vider le contenu pour ne laisser que du vide. Un Lilian sophistiqué, aux yeux crayonnés de noir, à la peau glacée de fond de teint, aux vêtements sexy et moulants, aux cheveux faussement ébouriffés, aux regards mesquins. Je ne veux pas penser. Je veux me regarder longuement dans le miroir et ne rien y voir d'autre qu'un corps, un corps qui travaille son aspect pour plaire au garçon du supermarché, au cas où je le recroiserais de nouveau, avec un peu de chance. Chaque soir, je rentré dépité et m'offre à Nicolas en échange de sa remarquable hospitalité. Après tout, je ne peux qu'être reconnaissant envers un si beau jeune homme, locataire d'un si bel appartement dans un si beau quartier. La Beauté. Il me semble qu'elle est partout, désormais, régente de mon existence et de mes moindres pensées. Être beau pour sortir dans la rue et m'offrir au regard des passants. Être bien habillé, travailler sa démarche, le jeu des regards. Ignorer les autres garçons, ne pas se dévoiler. Le contact se fait avant tout par le mépris, un semblant d'indifférence et de condescendance. Rappeler à l'autre qu'il a tout à prouver, qu'il doit savoir se vendre. Je suis jeune, je suis beau, c'est à moi de décider qui aura le droit de me toucher ou non. Parfois Nicolas m'entraîne dans le Marais, dans les saunas gays, dans des boîtes de nuit branchées. Ma préférée est incontestablement celle qui se nomme l'Enfer, et qui se trouve vers Bercy (ma connaissance de la géographie parisienne, ainsi que des différents Arrondissements de la capitale, commence à se peaufiner peu à peu, au gré de mes nombreuses promenades en solitaire), car l'on sent là-bas que les gens flirtent avec une idée sensuelle et démoniaque de la débauche, à la fois sexuelle et morale. C'est là que Nicolas se fournit en cocaïne, dans les toilettes peuplées de vomissements et de gémissements orgasmiques. Mon hôte continue à prendre des cachets, régulièrement, et une petite enquête, alors qu'il était au travail, m'a permis de découvrir qu'il s'agit d'antidépresseurs. J'ignore ce qui l'a mené sur cette voie (peut-être d'ailleurs devrais-je m'y mettre aussi, mais je n'en ressens pas ni l'envie ni le besoin), toujours est-il que, de son côté, il ignore mes aventures avec Matthieu, le voisin de pallier aux pratiques ultra-violentes. J'ai préféré, depuis notre dernier ébat, éviter celui-ci avec précaution. C'est étrange, finalement, la façon dont nos fantasmes nous dupent. J'étais persuadé, depuis longtemps, que j'aimerais sentir la brutalité d'un homme, me voir recroquevillé à ses pieds et encaisser son autorité sans broncher. Et puis, mis à nu devant le fait accompli, je n'ai ressenti rien d'autre que de la peur, et le désir d'accélérer le temps pour mettre fin au cauchemar. Est-ce un acte de faiblesse ? Est-ce que je me faisais des idées ? Toujours est-il que ces obsessions violentes de soumission et de masochisme continuent à imprégner, par images et flashs saccadés, comme un vieux film pornographique de mauvaise qualité, l'écran de mes paupières fermées lors de chaque masturbation solitaire. Je revois le garçon du supermarché, je l'imagine me dominer et me fouetter jusqu'au sang, sans merci. Parfois, au moment de l'éjaculation, alors que le sperme se presse pour jaillir de mon gland secoué de vibrations, son visage se mue en une autre face, celle d'un jeune homme aux traits fins et divins, et au regard coupant comme la glace. | |
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Tureïs
| Sujet: Re: Fragment #74 - Le papillon dépravé sort de son cocon 11.04.09 13:19 | |
| Très beau fragment sur la beauté, la relation qui existe entre l'intérieur et l'extérieur... J'espère que c'est Maël les yeux de glace. | |
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Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #74 - Le papillon dépravé sort de son cocon 11.04.09 13:21 | |
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Procyon
| Sujet: Re: Fragment #74 - Le papillon dépravé sort de son cocon 13.04.09 23:16 | |
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| Sujet: Re: Fragment #74 - Le papillon dépravé sort de son cocon | |
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