Fragment #75 - Sous la douche

Ce matin, Nico et moi ne faisons pas l'amour. Il s'est levé tôt, et je le rejoins dans la cuisine, les yeux encore embués de fatigue. Je le regarde prendre ses antidépresseurs, avaler un café noir-jaune, et filer sous la douche sans un mot. Après m'être déshabillé, je le rejoins dans la cabine sous le jet brûlant. Je lui dis que j'ai rêvé d'une ville médiévale, image qui me revient fréquemment en songe depuis l'accident, et que cette ville était soudainement embrasée par le soufre et le feu, puis se transformait en un lieu de carnage, une Géhenne abominable où les Anges Exterminateurs, munis de lances enflammées, terrorisaient les âmes des damnés. Il me demande si j'ai lu la Bible, car mon récit en est imprégné. Quand j'étais petit, oui, la lecture des Textes Sacrés m'a marquée, et je suppose qu'elle s'est incrustée dans mon inconscient jusqu'à ressortir à présent, sous forme de honte profonde. Je ne pense pas croire en Dieu, et pourtant je culpabilise à Ses yeux d'aimer les hommes, à l'encontre de Ses projets supérieurs. Mon front se pose sur le torse de Nicolas. Ses mains glissent dans mon dos et il me serre contre lui, comme un grand frère dont j'ai toujours rêvé, bien loin des gestes gauches de Julian et de Florian. Je comprends que nous devrions parler, l'un comme l'autre. Lui, de ce qui le rend dépressif (quand je l'ai connu, il y a deux ans, il était encore un peu fou fou, immature, il ne pensait qu'à faire la fête et s'en donnait à coeur joie ; aujourd'hui, il semble avoir été corrompu par une mentalité très « gay parisienne », chargée d'impératifs comportementaux et vestimentaires, de codes obligatoires, sans toutefois tomber dans le cliché ultra-efféminé de la folle), et moi, de l'accident, de la raison de ma présence ici. Je devrais parler de Robin, ma volonté de laisser le passé de côté, d'oublier. Mais alors, je me sentirais ridicule, car je ne pourrais pas réellement passer à autre chose, ma vie peu à peu décadente n'aurait plus de sens. Je n'aurais plus vraiment le droit de baiser, de me droguer, de chercher à plaire pour faire couler le temps et les choses. Je devrais faire face à mes démons, combattre les Anges Exterminateurs. Or, que peut un pauvre damné face à leurs cohortes dangereuses et armées ? Aurais-je la moindre chance de m'en sortir ?
« Tu vas faire quoi aujourd'hui ?
- Me balader, je pense.
- T'en as pas marre ?
- Non, je change d'endroit tous les jours. Je prends un coin de Paris au hasard et je me perds exprès.
- C'est marrant.
- Je déteste ça. Je n'aime pas me perdre. Ca me fait peur.
- Et tu le fais quand même ?
- J'ai besoin de faire des choses qui me font peur.
- Fais quand même attention à toi. »
Il me regarde. L'eau continue à couler, et je culpabilise pour toutes les générations futures, car l'eau est précieuse et nous la gaspillons sans réfléchir. Est-ce qu'il sait pour son voisin ? Est-ce qu'il fait allusion à cela ? Nus, l'un contre l'autre, je sens son sexe gonfler entre son ventre musclé et le mien. Mon pénis répond par un même durcissement.
« J'organise une petite soirée demain à l'appart', ça nous changera les idées.
- D'accord.
- Tu veux bien me sucer ? »
J'acquiesce, et obtempère sans un mot. Nicolas s'abandonne un instant contre le mur carrelé, fermant ses yeux pour savourer le plaisir offert par mes lèvres contre son entre-jambes. Ses doigts glissent dans mes cheveux mouillés, accélèrent la cadence, remplissant ma bouche en rythme. Après plusieurs minutes, un jet chaud éclabousse mon visage, rapidement lavé par l'eau brûlante qui coule encore et encore.
« Je peux inviter mon frère à ta soirée demain ?
- Bien sûr. Et il est temps que je te présente mes vrais amis. »
Nicolas sort de la douche, attrape une serviette, commence à se sécher vigoureusement. Il risque, encore une fois, d'être en retard à son travail.
« Dis, on est quoi l'un pour l'autre, Nicolas ? je demande en restant sous la douche, immobile.»
Il me répond par un sourire mystérieux.