Tureïs
| Sujet: Fragment #99 - La crise pas économique 16.04.09 21:41 | |
| Jeudi 16 avril 2009 à Paris Mes pieds avancent vers cette destination maudite, une boule joue dans mon ventre. J’ai l’impression d’être un condamné qu’on mène à l’échafaud. La scène remonte à cette nuit.
On sort du cabaret ensemble, tout le monde me parle, l’ambiance est plutôt sympa. Logiquement, je les accompagne pour boire un verre, décompresser de cette soirée. On s’assoit à une table et chacun partage : les anecdotes de la soirée, les pourboires, qui s’est fait dragué. L’ambiance est bonne enfant, ils critiquent quelques artistes, des cuisiniers, mais rien de bien méchant. Ils sont jeunes, ils sont beaux, chacun à leur façon. Julie sourit mais lorsque son regard se pose sur moi, j’y lis une interrogation muette, une question qui ne se dit pas. Caroline me sourit et reste franche avec moi, elle m’interpelle pour me demander mon avis de petit nouveau, mon regard de dernier arrivé. Je sens qu’à chacune de mes réponses les oreilles de mes collègues se tendent, attendant peut-être une erreur, une fausseté dans mon discours. Je sens mon naturel fuir au galop, je sens que derrière ces questions innocentes se cache un test. Mon regard sur eux se modifie, je n’ai plus le cœur à répondre sachant que mes réponses seront interprétées, décortiquées.
Cerbère vient de rentrer dans le bar et s’attable sans adresser la parole à quiconque. Son regard effleure chacun de ses collègues, son aura domine le groupe. L’ambiance s’est encore métamorphosée, j’étais face à des individus, je me retrouve face à un groupe soumis à un chef. Une sensation étrange monte en moi, une sensation de froid et de chaud, une impression d’être observé, d’être dans un cul de sac avec un inconnu derrière soi : la peur. La meute est rassemblée.
Lucie pose enfin son regard sur moi et j’y lis un défi, une menace : soit tu te soumets et tu rentres dans le groupe, soit tu crèves. - Alors Maël, que penses-tu de l’équipe et du boulot ? Les pensées filent : me soumettre, me coucher, la défier, la piéger ? Je ne sais pas, je suis perdu. - J’aime le travail et l’équipe, ça se passe bien pour moi. Et vous que pensez-vous de moi ? Je sens que je n’avais pas le droit de poser cette question, qu’eux n’avaient pas à donner leur avis, surtout pas avant que je ne sois piégé, coincé, jugé coupable ou gracié. Pourtant cette question n’a pas été facile à poser, demander un jugement n’est pas évident. Le regard de Lucie s’est durcit, la tension que je sentais entre nous deux devient réellement palpable pour les autres. Ils sentent que quelque chose est anormale, que le jeu est faussé. J’attaque : - Moi j’ai un seul problème, c’est que j’ai l’impression que tu ne m’aimes pas : tu ne me réponds pas quand je te pose une question, tu te détournes et t’éloignes quand je me repose au bar, tu me reproches de commettre des erreurs alors que je viens d’arriver et que j’ignore certaines choses, alors que tu refuses de m’expliquer. Mon ton est calme, interrogateur. Je bluffe, j’ai peur. Je sais que je joue un coup de poker. Soit elle tombe dans le piège soit elle me condamne. Mon regard se plante dans le sien, la glace la défie de mentir, lui renvoie un miroir dans lequel ne se lit que du mépris. - Ouais je ne t’aime pas. Les regards convergent vers elle. C’est gagné. Ils ne comprennent pas, ils savent juste que je suis sympa, gentil, que je fais ma part de boulot. Caroline et Julie semblent comprendre, mais Julie soutient toujours Lucie. Son regard satisfait semble me dire : et voilà petit con, maintenant t’es dans la merde. - Je ne t’aime pas parce que je ne sais pas qui tu es, t’es faux. T’es un putain de lèche-cul qui essaye d’être bien avec tout le monde. Pour moi t’es un hypocrite. Elle me fixe, satisfaite d’elle-même. Je ne sais que répondre. Je suis choqué, désarçonné. Puis quelque chose d’animal en moi surgit. Je vois rouge. La colère monte en moi et malgré le voile qui se pose sur mon regard, je vois que les autres sont choqués par sa diatribe, par la violence de ses propos énoncés sur un ton froid et méchant. - T’as déjà vu quelqu’un arrivé dans une équipe et être mal aimable, désagréable et chiant ? Moi j’ai juste essayé de connaître mes collègues, de savoir qui ils étaient, même toi. Est-ce que tu as essayé de savoir qui j’étais ? Non. Alors ta connerie tu te la gardes car tu aurais essayé, comme les autres, t’aurais vu que j’étais pas faux-cul et que quand j’ai quelque chose à dire, je le dis. Le ton est monté doucement, du mépris il est passé à la rage et à la colère pour finir sur une note de déception. Je me lève et prend mon manteau. La porte du café claque derrière moi tandis que je remonte vers mon appartement, tandis que les larmes jaillissent de mes yeux. Ce fut difficile mais j’espère qu’ils ont tous capté mon incompréhension face à sa méchanceté. J’espère qu’ils ont compris ma colère. Comme dirait Ségolène, certaines colères sont saines.
J’arrive devant la porte. Je donnerais chère pour une cigarette et pour savoir ce qui s’est dit une fois que je suis parti. Pour être ailleurs aussi. | |
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Menkalinan
| Sujet: Re: Fragment #99 - La crise pas économique 17.04.09 1:48 | |
| En fait ce que je trouve extraordinaire chez Maël c'est cette propension à tout calculer, jusque dans les moindres dialogues. Combien de personnes auraient répondu ça Lucie sans réellement diriger le jeu sous-jacent ? | |
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Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #99 - La crise pas économique 17.04.09 10:31 | |
| Est-ce qu'il calcule vraiment tout, ou bien tente de se donner l'illusion à lui-même qu'il contrôle chacune de ses intonations ? Moi je l'ai découvert un peu plus faible que d'ordinaire, dans ce fragment, plus sensible aussi. Même si la fin donne l'impression qu'il est quasi machinique, je pense que ça lui ferait du bien de ne pas entamer le combat, un jour. D'être lui-même, en somme :) | |
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Procyon
| Sujet: Re: Fragment #99 - La crise pas économique 19.04.09 21:43 | |
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| Sujet: Re: Fragment #99 - La crise pas économique | |
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