Dimanche 19 avril 2009
à Paris
15h34. Je quitte Maël, je viens de recevoir un texto de Lilian. Il va passer chez moi, rue de la Folie Méricourt. Maël comprend très bien que j'aie envie de voir mon meilleur ami, que je n'ai pas vu depuis presque un mois alors que je sais qu'il ne va pas bien. Je lui avais déjà raconté l'histoire de notre amitié, j'ai limité son histoire personnelle à la mort de son petit-ami. Maël n'a pas bronché en apprenant que mon meilleur ami est gay, ce qui d'habitude est sujet de plaisanteries -souvent amusantes par ailleurs-.
Je me dépêche de descendre les escaliers parce que je l'ai entendu arriver, j'ai à peine le temps de rentrer à l'intérieur que le métro redémarre. Changement de ligne. Je descends à mon arrêt, me dépêche à nouveau de remonter la rue, pour arriver rapidement au numéro douze. J'enfonce la clé dans la serrure, monte les deux étages, et appuie sur la poignée. Je trouve ma Laura, assise en tailleur sur le canapé, un calepin sur les genoux, un crayon dans une main, elle griffonne.
« Coucou ma belle, Lilian n'est pas encore arrivé.
- Non. Il doit venir ?
- Oui. »
Je vais dans ma chambre vider mes poches et poser ma veste. Je vais me servir un verre d'eau. Il a dit dans une heure, ce qui fait aux alentours de seize heures trente. C'est à dire dans un quart d'heure. Je suis excité ; excité mais pas très rassuré. Je suis content de le voir, mais pourquoi subitement aujourd'hui ? Pourquoi aujourd'hui alors qu'il est à Paris depuis si longtemps et que nous n'avons pas réussi à nous voir auparavant ?
Je mets mon verre dans l'évier, et vais, en silence, m'asseoir à côté de ma sœur. Mon imperturbable sœur dont j'essaie de mimer la posture sans succès. Je manque de souplesse. Aussi j'étends loin mes jambes, je passe mon bras derrière son dos, et dépose un baiser sur son épaule.
Il est à ma montre cinq minutes plus tard déjà que l'heure qu'il avait prévue. Sans m'en rendre compte je me suis mis à caresser du dos de la main ma Laura qui continue d'écrire. Elle porte un haut ample et fin, on peut voir au travers du coton blanc son soutien-gorge noir ; c'est léger et transparent, un brin estival ; mais heureusement que nous sommes à l'intérieur car le soleil a déjà commencé à quitter le ciel, annonçant la nuit proche. Il n'est toujours pas là. Et s'il ne venait pas ? Et s'il lui était arrivé quelque chose en venant ? Je n'ai pas pu assister à l'enterrement de Robin. Je ne sais même pas s'il n'a pas été incinéré. Faudra-t-il en parler ? Faudra-t-il taire ces événements et faire comme si de rien n'était pour éviter de faire remonter une douleur à vif ? Il faudra sûrement déceler des larmes dans un sourire, et ne pas rire de la plaisanterie dissimulant un malaise. Je voudrais être là, présent pour lui, sans lui rappeler ce qu'il est venu oublier. Il porte le lourd fardeau d'une peine dont je ne peux être l'Atlas. Il est seul ; seul à partager cette souffrance avec lui-même. Je ne peux que l'accompagner, et nullement amoindrir sa peine. Seul son chagrin est de mon ressort, je peux essayer de lui faire oublier, au moins un instant. Mais dans quel état va-t-il arriver ? En larme, une lame sous la gorge. En arme contre son âme qui s'égorge. En drame comme une vielle dame d'opéra. Tout est imaginable.
Je pleure, je résiste, je me plains. Je peux même rire, qui sait. Mais je ne suis pas là, oui suis-je ? Où est-il ?
Laura sent mes doutes, et prend de sa main libre la mienne tremblante. Droit dans les yeux elle me fixe jusqu'à ce qu'on sonne à la porte. C'est lui. Comme je ne bouge pas, elle va décrocher l'interphone.
« C'est Lilian. Tu veux que je vous laisse ?
- Ça va aller, merci. »
Par respect de ma pudeur, elle va s'enfermer dans sa chambre. On frappe à la porte. On c'est il. Et Il est Lilian. J'ouvre. Instinctivement nos regards se croisent et nous nous rapprochons jusqu'à nous serrer l'un contre l'autre. Par amitié. Une accolade sans tristesse. Il semble bien dans sa peau, j'oserais presque dire heureux. Il sourit. Est-ce un de ceux à suspecter ? Et le rire quand il me dit qu'il était déjà en retard avant de manquer la station de métro ; qu'en penser ?