Mercredi 22 avril 2009
à Villeneuve-Saint-Georges
9h16. Ce matin c'est musculation. Britney et son Womanizer font grésiller la radio ; nous sommes sept, alignés comme des poireaux dans un chams, à ramer en cadence. Dans le vieux gymnase en pierre le bourdonnement constant des appareils est couvert par la voix résonante de notre sans-culotte américaine. Nous faisons face à une armée de vélo d'appartement, protégée sur l'aile droite par des espaliers, et sur le flan gauche par des bancs de dévellopé-couché.
Je repense à dimanche et Lilian, je ne les ai pas vus beaucoup tous les deux. Dimanche parce que j'ai dormi toute la matinée, Lilian parce que j'ai dû partir pour être à vingt heures précises à l'intérieur du fort. Il va bien c'est le principal. C'est ce qu'il dit, c'est ce qu'il montre ; je suis au moins persuadé qu'il va mieux que lorsque je l'avais laissé à Dijon, ça se voit. Je ne crois pas qu'il mente ou dissimule quoi que ce soit. Il me l'aurait dit, je ne suis pas un étranger pour lui. Évidement, on ne peut pas lui demander de l'oublier du jour au lendemain. Moi-même, je pense encore souvent à mon père. Papa.
...il fera vingt-quatre degrés sur la Bretagne, vingt-deux sur le Cotentin, comptez jusqu'à vingt-trois vers Narbonne, et quelques petits dix-huit degrés à Besançon. Aujourd'hui nous fêtons les Alexandre, le proverbe du jour vous dit que le sage attend dans la montagne que la pluie s'en soit allée. Bonne journée à vous, tout de suite vous avez rendez-vous avec Bruno Gomez pour l'actu people, je vous retrouve à Midi pour un nouveau point info, en attendant...
L'annonce de la jolie brune de la radio - j'imagine que cette voix fluette de fille débile cache au moins un 85C et de longs cheveux bruns – a pour effet de dissiper les troupes quelques instants avec plusieurs « Bonne fête les Alex » lancés à la volée dans le gymnase. En plus de la soixantaine de souhaits, les échos répètent ce cri passionnel arraché au plus profond des cœurs battants. Je m'emballe un peu, c'était simple politesse entre camarades de promotion. Il est vrai que nous vivons ensemble vingt-quatre heures sur vingt-quatre et que des affinités se créent, mais il nous manque les caméras, le Nutella, et les matelas pour éprouver davantage que de la pure camaraderie à l'égard de nos collègues. Dans l'ensemble on s'entend avec tout le monde, de toutes façons on n'a pas le temps de faire des histoires, et on laisse ça à la téléréalité. On est mieux payé qu'eux, et au moins on a un avenir dans ce qu'on fait. Bref ça fait plaisir qu'ils aient l'amabilité de répéter la voix de la brune au 85C. Je ne crois pas que s'ils ne l'avaient pas fait aucun des trois Alexandre ne se soit vexé. Je vais sûrement recevoir un message de ma mère. Peut-être un de Laura.
« Dix heures moins le quart, tout le monde à la douche. Dans quinze minutes vous êtes en salle de cours les gars. »
Je m'essuie le front en me levant du rameur, je fais quelques rapides étirements, et me dirige vers mon casier. Je prends ma serviette et mon gel douche. La pudeur n'est pas de rigueur, seules les filles ont droit aux douches individuelles.
Vous n'allez pas le croire, j’enfile mon pantalon, je relève la tête, et là : un chameau passe à côté de moi. C'est Jess, je ne savais pas qu'elle avait une bête à poil de tatouée dans le bas du dos. Il disparaît sous la serviette, avant de se faire écraser par un polo bleu marine.
« Lève les yeux Alex !
- Pardon, c'est ton chameau qui m'a troublé.
- Quand il n'y a qu'une bosse c'est un dromadaire. Essaie d'être plus discret la prochaine fois, je suis pas une animalerie. »
Oui, là aussi c'est de la franche camaraderie. Comme il n'y a pas beaucoup de fille, elles doivent avoir un fort caractère pour ne pas se faire bouffer, mais ça reste cordial et amical.