Fragment #76 - Les roses et le sexe

Rachel m'envoie chercher une brassée de roses rouges. Je les lui apporte, elle les taille pour composer un bouquet. L'odeur lourde et sanguine des roses embaume l'air humide de la boutique, et l'embrase de senteurs charnelles. La grosse dame aux joues rougies me sourit d'un air bienveillant. Tous les matins, elle vient acheter un bouquet ici, et je crois qu'elle m'aime bien. Je suis l'assistant de Rachel Fleury (elle porte bien son nom, pour le coup), une amie fleuriste de Nicolas qui m'a embauché dans sa boutique, Les Nymphéas. Ici, je donne un coup de main pour nettoyer, principalement, et j'apprends à tailler en biseau, à entretenir, à composer. Le peu d'argent que je gagne me permet de payer les courses à Nicolas en échange de sa remarquable hospitalité.
Puis, le soir, je rentre à l'appartement de ce dernier, les doigts piquetés de sang car certaines fleurs sont hérissées et ne se laissent pas toucher facilement, et nous faisons l'amour pour nous vider de toutes nos tensions. Entre Nicolas et moi, malgré une évidente complicité, il n'y a pas vraiment de tendresse lors de nos rapports. Coucher ensemble constitue davantage une habitude, un rite -un sport peut-être- qu'un véritable partage de plaisir. Une fois qu'il a joui, nous nous douchons, il prend ses antidépresseurs, et nous sortons manger quelque part, un kebab, quelques nems ou des sushis, des falafels, une crêpe, alternant chaque fois les plaisirs. Il me parle de sa chef, Iris, une petite jeune femme tyrannique aux cheveux blonds, presque argentés, que j'ai aperçu à plusieurs reprises lors de soirées, et je lui raconte comment Rachel prend soin de moi au milieu de son paradis floral.
Nicolas règle l'addition. Je sors du café et fais quelques pas dans la rue en l'attendant. Les gens me regardent en terrassent, mais sans vraiment me regarder, trop occupés par leur discussions enfumées et leurs mouvements de tête arrogants. Un type passe devant moi, maigre, les habits trop larges, les cheveux longs et blonds, puis fait demi-tour et s'approche pour me demander du feu.
« Désolé, je fume pas... »
Il ne s'en va pas, et continue à me regarder, comme s'il attendait quelque chose. Je jette un oeil rapide à l'intérieur du café pour voir où en est Nicolas, mais ne le voit pas.
« Tu attends quelqu'un ? me demande le garçon blond.
- Heu...
- Ou peut-être que tu m'attendais moi, haha. »
Je détourne les yeux, et je sens que me joues rosissent à une vitesse fulgurante. Ce qu'il est beau, ce type, en disant ça ! Est-ce qu'il a vu que j'étais gay ? Est-ce qu'il me drague vraiment ?! Je sens mon coeur s'emballer dans ma poitrine, et le sang dans la tête me tourner.
« Bon, je vais pas t'embêter, bonne soirée...
- Mais... non non, tu m'embêtes pas...
- Ah bon ? Tu veux venir boire un verre ?
- Là non, je peux pas mais...
- Tu me files ton numéro ? »
Il sort son portable, commence à noter.
Et tandis que je lui dicte les chiffres, Nicolas arrive près de nous.