Fragment #81 – En compagnie d'un tueur

Il pleut sur le velux. Eliott me tend une cigarette, je refuse poliment. Il sourit, et sa bouche me fait gondoler le cœur. Je ne sais pas pourquoi je suis là, mais je me sens bien avec lui et rien d'autre ne compte en cet instant. Mon Dieu, je passe ma soirée dans la chambre d'un tueur, et cette idée, depuis quelques jours, m'excite de plus en plus. D'autant qu'Eliott joue un jeu étrange, à la fois séducteur et distant. Jamais il ne m'a laissé le toucher ou même l'approcher, et pourtant il insiste pour que je dorme chez lui chaque soir, comme si ma présence lui importait vraiment.
« Tu vas pas rentrer chez ton frère à cette heure là, tu vas réveiller le brave Julian et sa fiancée...
- Et ma nièce...
- Et ta nièce au prénom bizarre, oui.
- Kokhavah. Je m'y suis habitué, j'ai oublié que c'était bizarre.
- Si si, je t'assure, c'est vraiment pas commun.
- Toi non plus, t'es pas commun.
- Ah ouais ? Pourquoi ? »
Il rit. Eliott aime que l'on parle de lui. Il aime entendre les gens lui dire qu'il est unique. Mais je n'ai aucune envie de lui faire ce plaisir.
« Tu as déjà tué quelqu'un, Eliott ?
- Tu veux vraiment le savoir, Lilian ?
- Oui et non. Je suis tellement curieux, et à la fois j'ai tellement peur de ta réponse...
- Peur d'être déçu ?
- Ca dépend. Je me suis imaginé tant de choses...
- … que tu serais presque triste si je te disais que non, je ne suis en réalité qu'un petit agneau inoffensif ?
- Alors ?
- Alors oui, je l'ai déjà fait.
- Ah...
- Une fois. Il y a longtemps. Va pas croire que c'est un hobby. On s'imagine beaucoup de choses autour de la question du « meurtre ».
- C-comment ça ?...
- Avec tout ce qu'on voit à la télé, on s'imagine que c'est simple, de tuer quelqu'un de sang froid. Alors qu'en fait, à part chez les psychopathes, c'est un acte terrifiant, peut-être même davantage pour le tueur que pour sa victime.
- Ah bon ?...
- Tu as déjà écrasé une araignée ? Une grosse araignée ?
- Oui...
- Tu te disais qu'elle n'avait pas sa place chez toi, que tu devais le faire coûte que coûte.
- Oui ?...
- Mais en l'écrasant, tu t'es senti tout puissant, tu pouvais d'un geste lui arracher ce qu'elle a d'irremplaçable : sa vie. Eh bien on se demande, quand on tue, si on en a vraiment le droit. S'il existe un pardon pour ça. »
Eliott me fascine. La beauté et l'intelligence se mêlent autour de lui avec harmonie et simplicité, et je donnerais mon âme pour un seul de ses baisers. Pourquoi fallait-il que je croise son chemin ? Pourquoi fallait-il qu'il soit un assassin ? Comment ma vie a-t-elle pu devenir si étrange ? Qui aurait pu prévoir que Robin mourrait dans un accident de voiture, que je partirais vivre sur Paris et que Nicolas me violerait, pour que je finisse dans cet appartement, à discuter avec le tueur le plus gentil du monde ?
« Bon, je te paye le taxi ou je te prépare un matelas ? Je voudrais pas que tu arrives fatigué à ton boulot demain, les fleurs vont faire la gueule sinon ! »
Il me gratifie d'un sourire charmeur. Je sens mon coeur qui fond.
Merde, qu'est-ce qu'il me veut à la fin ?