Fragment #27 - Le poids des lacunes

Il n’y a rien. Absolument rien. Ce cadre est désespérément vide de toute photo, et cette lacune est si lourde qu’il en est encore plus mystérieux... Absolument rien, ou presque. Ne reste du passé qu’un bout de verre coincé, témoignant de la colère et des larmes qui ont dû danser autour de cette photo, que je ne verrai peut-être jamais. Un bout de verre blotti dans un coin. Un bout de verre rempli d’histoire. Débordant d’émotions. Je me laisse imaginer quelques scènes de film suffisamment violentes et américaines pour pouvoir justifier, rationnellement ou pas tout à fait, les couleurs que je peux voir au fond de ce cadre au fond noir, avant de le rendre à son napperon et leur commode. Fin des péripéties.
Michelle rentre à l’instant où je regagne le salon. Elle jette un coup d’œil rapide et précis sur son sanctuaire, puis superpose son regard au mien tout en enlevant sa veste. Non, je n’ai pas préparé de chocolat chaud aujourd’hui. Si, je vais bien. Juste pas envie. Par contre, envie d’aller voir le fauteuil de plus près. Elle s’éclipse. Moi, je rejoins mon copain.
« Dimitri, je sens que ça te gênes, mais ça ne devrait pas... Et puis sans même le vouloir
j’arrive à savoir que tu es entré dans ma chambre. Alors je préfère que tu me poses les questions qui te démangent. »
J’acquiesce doucement. Un ange passe, puis elle reprend :
« En fait, peut-être qu’aujourd’hui tu as eu raison. Je suis sûre que tu n’as rien trouvé en soulevant ce cadre, et je ne répondrai pas à ces questions-là. Mais seulement aujourd’hui ! »
Elle sourit joliment. Je ne sais pas quoi répondre. Donc rien. Elle m’enchaîne :
« Tu as vu ton frère ? »
Un silence de plus, mais plus grave que les précédents. Michelle le ressent aussi. Elle s’assoit.
« Dimitri, c’est ton frère !.. »
C’est mon frère. Oui. Peut-être. Je me le demande aussi. Et je me demande ce qu’est un frère... Si j’avais un frère, on s’aimerait. On s’aimerait d’amour pur, indépendamment d’un quelconque lien génétique, qu’il existe ou pas. Indépendamment des parents, des autres, des ambitions ou encore de l’argent. Si j’avais un frère, on partagerait beaucoup sinon tout, on se comprendrait en un regard, un geste, un rien. Si j’avais un frère, on ne vivrait pas un seul jour sans penser à l’autre, pas un seul jour sans un signe. Si j’avais un frère il ne serait pas comme Romain. Pourtant il me manque. Alors je me demande cela aussi. Romain n’est peut-être pas mon frère. Je veux savoir.