Fragment #85 - Un soir torride

Ça gratte, ça brule, ça pique. L'air chaud est infesté de pollens agressifs, la peau colle et la bouche est sèche. Maël me ressert une rasade de vin, je l'invite d'un signe à ne pas être trop généreux, car déjà mon esprit est altéré par la chaleur et l'alcool. J'ai en mémoire les odeurs de fleurs qui m'accompagnent tout au long de la journée, et à celles-ci se superpose le parfum de Maël, les effluves de son corps brûlant, de son torse nu et luisant. Je laisse mes yeux y papillonner un instant, alléchés, car le vin m'autorise à montrer ce que je ressens.
Voilà plus de deux semaines que cet homme est à portée de main. Deux semaines d'insoutenables fantasmes. Je passe une main dans mes cheveux mouillés de sueur, replie mes jambes en tailleur sur le canapé. Mon pied frotte contre la jambe de Maël, effleure ses poils blondis par le soleil. Je rétracte mes orteils, comme si ce vif contact m'avait électrocuté, lance un regard en direction du garçon pour vérifier sa réaction, n'aperçoit qu'un sourire sympathique sur le bord de ses lèvres.
Les hommes sont des monstres. Ils m'ont toujours manipulé pour mieux me baiser. Je suis jeune et mignon, et ils en profitent. Le seul qui ait échappé à la règle, finalement, aura péri dans un accident de voiture, comme s'il était une aberration, l'inenvisageable exception. Pourquoi ferais-je confiance à Maël ? Qu'est-ce qu'il le différencie d'un Jed ou d'un Nicolas, d'un Matthieu ou d'un Anthony ? Pourquoi ce sourire-là serait-il plus innocent que les autres, pourquoi ne cacherait-il pas lui aussi d'obscures manigances ? Est-ce que vous voulez tous faire de moi un petit esclave prêt-à-baiser ? Je croyais que cela m'exciterait, mais ce n'est pas le cas. Passé l'orgasme, je reprends le contrôle de ma dignité humaine, je retrouve la lucidité. Je ne veux être à vos pieds que lorsque cela m'excite. Je ne veux pas que vous me regardiez d'en haut. Maël, je m'enlise dans ton regard bleu glacé, dans l'étirement de ta bouche qui sourit, mais j'ai peur d'y voir un jour du mépris, peur que tu ne saches pas me protéger.
« Tu reprends un peu de vin ? »
J'acquiesce en tendant mon verre. Le liquide blanc doré gicle dans un bruit rafraichissant et je le porte à mes lèvres. Mon sang frémit et se gorge de folie. Je pose mon pied contre le mollet chaud de Maël. Il ne bouge pas. Bien. J'exerce une légère pression. Maël regarde au plafond, ferme un peu les yeux. Nous avons beaucoup parlé ce soir, et je ne pensais pas qu'il connaissait Julian. Je ne savais pas que quelqu'un avait attaqué Florian en janvier, quand Julian et Lola ont emménagé sur Paris. Je ne savais pas que Maël était intervenu pour empêcher l'agresseur d'étrangler mon frère. Je me dis que le monde est petit, et puis je chasse cette pensée inutile. Je presse mes orteils contre sa jambe. Observe une raideur gonfler dans son entrejambe. Mon dieu, l'alcool nous monte à la tête. Est-ce que c'est réel ? Est-ce qu'il me désire autant que je le désire ? Est-ce que nos corps vont se rapprocher encore et encore ?
Maël ouvre les yeux et me regarde. Il sourit. Mon pied remonte le long de sa jambe, entre ses cuisses, et se glisse contre sa queue. Sa main virile se déplace et vient caresser mon mollet, il ne me lâche pas des yeux. Je sens le sang qui bourdonne dans ma tête, mon coeur qui bat à cent à l'heure.

Nous nous jetons l'un sur l'autre, nos bouches impatientes s'entredévorent.
Salive et sueur. La peau dans la peau. La nuit sera torride.