Fragment #37 - Une autre noblesse

La porte s'ouvre. Le chat me rejoint dans le salon et j'entends Michelle se déchausser. Elle doit sûrement rentrer du Dionysos. Et cette petite boule de poils noire prend mes genoux pour son panier. Je crois qu'après trois jours passés ici il m'a déjà adopté. Mon poly de chimie me regarde depuis la table basse, monopolise l'ennui. Jaloux. Au moins une heure qu'il est là, à un mètre de moi, au moins une heure que je somnole au fond du fauteuil le plus moelleux de la ville. C'est mon panier à moi. Michelle non plus ne semble pas vouloir m'inciter à partir.
« Tu n'as pas cours aujourd'hui ?
- Si mais plus tard que les autres jours.
- D'accord. Il y a une carte de bus neuve dans l'entrée, deuxième tiroir, si jamais tu as besoin... C'est quoi ?
- De la chimie.
- Tu y arrives ?..
- Je sais pas. J'arrive pas à essayer... »
Nous sourions doucement. Sur la table basse les électrons s'excitent et s'énervent de cet amour si fondamental et si pur, de cette simplicité qui donne tant d'énergie. Même les gaz les plus nobles ne parviennent pas à garder leur calme. C'est peut-être une autre noblesse, de cœur, qui apaise.
« Je vais te préparer un chocolat, que tu ne partes pas le ventre vide. Il fait vraiment froid dehors. »
Oui j'en suis sûr. Elle est noble de cœur… J'aimerais bien trouver le temps de passer chez les parents ce soir avant qu'ils ne rentrent du travail. Ce soir ou demain. Ce n'est pas que je m'y sente bien mais après tant d'années il me reste encore quelques repères là-bas. Là-bas, au loin... Michelle revient de la cuisine avec un sourire malicieux et le plateau, qu’elle pose juste à côté du poly pour qu’en me penchant au dessus de la chaleur du bol je me penche aussi sur la chimie. Je cède. Un électron, c’est très humain, ça se met là où il faut le moins d’énergie pour pouvoir rester. Moi aussi je suis très humain. Ici tout est si calme, limpide. Reposant. Harmonieux. Je n’ai pas envie de quitter le fauteuil mais il le faut. Et puis Michelle m’encourage, je n’aurais jamais osé la décevoir mais davantage depuis que je vis, ou plutôt depuis que je squatte chez elle… Je finis mon bol, prends mon écharpe et la chimie. Parti. Dehors, la rumeur fait beaucoup de bruit. Elle fait le bruit du vent qui siffle, des feuilles mortes qui balayent le macadam, des dents qui claquent derrière les lèvres gercées ou tartinées de Labello. C’est peut-être vrai alors. L’hiver est déjà là. Ou alors un multimultimilliardaire a fait déplacer Dijon par hélicoptère pendant la nuit, jusqu’en Antarctique.