Fragment #94 – Entaille-moi le coeur

Maël se penche pour attraper une bière au fond du frigo, et je suis avec envie les lignes de son corps. Lorsque je l'observe ainsi à la lumière du jour, je ne parviens pas à assimiler que nous avons déjà fait plusieurs fois l'amour ensemble. C'est un peu comme s'il me semblait toujours aussi distant, comme si nous n'avions jamais crevé les écrans invisibles qui se dressent entre nos individualités. C'est aussi un peu comme s'il existait deux Maël. Une entité réelle et lumineuse, diurne, angélique et immatérielle. Et une autre, charnelle et nocturne, fantasmatique, peut-être irréelle.
« Tu en veux une ? il me demande.
- Oui, je veux bien, dis-je d'une petite voix faussement timide. »
Il m'apporte une bière. Il ne porte rien d'autre qu'un boxer moulant, qui laisse apparaître la forme de son membre bandé. Je fais semblant de ne rien voir. Je fais semblant de ne pas être excité. Pourquoi ces barrières sont elles si rigides entre nous ? Pourquoi est-ce que je ne lui saute pas dessus, tout simplement ? Après tout, il est déjà entré en moi, il m'a déjà vu jouir et gémir. Pourquoi ne peut-il pas me parler franchement et me dire ce qu'il pense de moi ?
Je regarde ses yeux effilés aux reflets d'argent, je les laisse m'entailler le cœur. Il sourit... Non ! Ne sourit pas malheureux ! Tu n'imagines pas le mal que tu me fais en dedans quand tu exhibes ces jolies dents blanches et carnassières. Je frissonne quand tu t'approches de moi, je pâlis à ta vue, et mon cœur s'emballe lorsque nous nous frôlons.

Je crois que je craque complètement pour toi.