Fragment #208 - Tandem

Vendredi 17 juillet 2009
à Paris

10h24. On sonne, au douze rue de la Folie Méricourt. Je me lève en baillant. Je me gratte les couilles machinalement. J’appuie sur le bouton de l’interphone sans même avoir demandé qui est là. J’entends courir dans l’escalier. J’ouvre la porte et reconnais ma Jessica ; à vrai dire j’avais le sentiment que c’était elle, tout en sachant que ce n’est pas possible. Elle m’embrasse essoufflée. Ce baiser est bien réel, mais comment est-il possible ? Ne doit-elle pas être de garde en ce moment ?
« Ils ont acceptés ! Mon changement d’équipe de garde, ils ont acceptés. Je suis trop contente.
- Et moi donc !
- Comme ça on aura au moins deux jours de repos en commun. C’est cool, dit-elle en reprenant son souffle.
- Génial.
- Je suis venue dès que j’ai su. Ça te dérange si je vais prendre une douche.
- Non, bien sûr, va. »
Laura n’est pas là. Elle est partie travailler. Je n’ai pas trop compris sur quoi exactement, mais pour ma défense, on ne s’est pas beaucoup vu depuis qu’elle a commencé. Je me dépêche de me faire couler un café, il faut que je profite de ma libellule que je n’ai pas vu depuis le vingt-sept juin. Ce qui fait… euh… Trop longtemps à mon goût. Nous avions des emplois du temps complètement différents, pour ne pas dire opposés. Maintenant on va pouvoir se voir beaucoup plus régulièrement. Parce que si j’ai bien compris, je bosse quarante-huit heures, je me repose une journée, j’en passe deux avec elle, et le cycle recommence. Evidemment, c’eût été mieux d’avoir exactement le même cycle de 48/72, et d’avoir nos trois jours de repos en commun. Mais on ne peut pas trop en demander non plus. Surtout que pour deux célibataires, la demande de changement de planning pour compatibilité familiale n’a guère de chance d’aboutir. Je regrette que nous n’ayons pu être dans la même caserne. Ses notes en sport ayant tirées sa moyenne vers le bas, elle était évidemment toujours admissible, mais n’avais plus beaucoup de choix quant à son affectation. A vrai dire, moi non plus. Elle à Charronnes, moi à Aubervilliers, ce n’est sûrement pas en intervention que l’on risque de se croiser.
Elle sort de la salle de bain, enroulée dans une serviette savamment coincée au dessus de ses seins ; et en silence s’approche de moi. J’ouvre me bras et écarte mes jambes pour la recevoir. Je suis assis sur le canapé avec mon café, elle est assise entre mes jambes perpendiculairement à moi, de telle sorte qu’elle pose aisément sa tête sur mon épaule, en serrant ses genoux dans ses bras. Je passe mon bras sous le sien, et lui baise la tête. En ce moment il n’y a plus ni épreuve de sport, ni camion rouge, ni pression, ni rangers, ni quoi que ce soit, ni même rien qui soit, rien je vous dis ; nous ne sommes que Jess et Alex. Tout simplement. J’aime ça. Je l’aime. Ici, on n’a pas besoin de se cacher, pas besoin de faire semblant, pas besoin de se retenir. On peut s’aimer au grand jour, les portes fermées. Dehors, sous la pluie de juillet, rien n’est pareil. On risque toujours de croiser quelqu’un de connaissance, il faut déjà faire plus attention. Un jour tout le monde sera au courant de notre histoire, mais pour le moment c’est justement notre histoire, et pas celle des autres.