Fragment #13 - Embouteillages

Dans la voiture, il fait une chaleur à crever. Ben est au volant, il ronchonne après maman qui nous casse les oreilles avec son If You Seek Amy, et moi je suis écrasé par les valises sur la banquette arrière, mon front luisant de sueur collé contre la vitre. Je regarde le paysage d'autoroute, et les gens qui cuisent lentement dans leurs véhicules. Nous sommes coincés dans les bouchons depuis maintenant deux heures, et Ben commence à devenir agressif. La lenteur du trafic, ainsi que la fournaise (nous n'avons malheureusement pas la clim), excitent les nerfs de mon beau-père et je le sens monter en pression, ses doigts pianotant sur le volant avec violence au rythme des « la la la la lala la la » de Britney Spears.
Je suis triste de quitter Luis et sa villa, et plus que tout la piscine où j'ai été conçu, ainsi que les secrets qui y sont gardés, l'ombre de mon père, la princesse aquatique. Mais je suis heureux de me dire qu'à Paris, j'aurai de nouveau accès à internet en illimité, et que je pourrai passer mes journées à travailler mon blog et à discuter avec mes amis sur Facebook. La perspective de me reconnecter enfin au monde réel provoque en moi un sentiment d'impatiente béatitude. Je sais aussi que la rentrée scolaire approche à grands pas, et que nous allons d'ici peu faire le tour des rayons fournitures dans les hyper-marchés. J'ai hâte d'entrer en sixième et d'y retrouver mes amis, Ninon, Lou et Axel, d'avoir plusieurs professeurs et des cours dans différentes salles de classes. Maintenant je suis grand, je passe au stade supérieur, même si, là-bas, je serai rangé parmi les plus petits.
L'an dernier, en CM2, nous avons passé une journée mémorable dans le collège de secteur, et j'ai particulièrement apprécié le CDI et les couloirs du bâtiment, qui m'ont rappelé l'intérieur de Poudlard, le château où Harry Potter étudie la magie (ou, plus précisément, l'image que j'en avais à la lecture du livre).
Je ferme les yeux. La chaleur cogne sur ma tête et je sue à grosses gouttes. Mes cheveux collent sur mes tempes et ma nuque, mon tee-shirt est trempé le long de mon dos, mes pieds étouffent dans leurs baskets. On dirait que le soleil a fait fondre les heures, et que le temps s'écoule au ralenti, prolongeant l'enfer et ses multiples tortures.
« Quand est-ce qu'on arrive ? je demande. 
- Dans longtemps, répond Ben avec mauvaise humeur. »