Fragment #19 - Un dimanche au chaud

C'est un dimanche comme on en a vu tant d'autres. L'automne est là, on le sent qui arrive tout habillé de froid, mais l'été pousse encore quelques soupirs de soleil pour nous rassurer : oui, il reviendra, plus beau et chaud que jamais, après les ombres noires de l'hiver, le gel et la mort. Je reste allongé sur mon lit, et je me laisse bercer par California Dreamin'. Je suis malade.
En me voyant tousser et renifler, maman a eu peur, elle a cru que j'avais la grippe A. Il faut dire que maman est victime de la psychose qui rôde en France et dans le monde entier autour de cette pandémie. Elle a déjà son masque préparé « au cas où », et elle attend le vaccin avec impatience. Moi, je m'en fiche : j'ai vérifié les symptômes sur Wikipédia et Doctissimo, et de toute évidence je n'ai contracté qu'un simple rhume. Pas de quoi en faire tout un plat. Avec un peu de chance (et quelques comprimés de Dolirhumes), je serai demain en pleine forme pour une nouvelle semaine au collège.
Je vais retrouver mademoiselle Bigot, la prof de français rondouillette et malaimable, qui a eu la mauvaise idée de tous nous séparer pour que nous nous fassions de nouveaux amis. Je me retrouve donc, à chaque cour de français, assis à côté de Brandon, un garçon blond quasi albinos, à la peau rose comme celle d'un porcelet, brutal et stupide, qui chahute avec les deux filles de devant, deux pestes insupportables et prétentieuses. Finalement, le collège ressemble plus à une jungle qu'à cette « école pour les grands » qu'on nous peignait en primaire. Les cinquièmes nous embêtent dans la cour de récré, les quatrièmes aussi, et les troisièmes -qui semblent gigantesques- nous ignorent. Il y a des pions qui sont gentils, et d'autres qui le sont moins. Tristan, par exemple, le beau blond aux yeux bleus que toutes les filles adorent, est notre ami, ainsi que Jessica, une petite brune qui fume toujours avec lui devant le portail. Ahmed, par contre, est le surveillant le plus méchant, et il est très lié à la terrible Mme Condor, CPE du Collège Gérard de Nerval, traumatisme de la plupart des anciens élèves d'après les rumeurs qui circulent un peu partout.
Il y a aussi Mme Bègue, la prof de maths, une petite femme rousse aux cheveux courts et au corps osseux, Monsieur Lang, le prof d'anglais hyperactif qui nous fait chanter des chansons idiotes, et Mme Velin, la vieille prof d'histoire-géo qui ressemble à une petite mémère, Mademoiselle Lefèvre, la jolie prof de techno, Monsieur Lambert, le prof de sport qui se la joue beau gosse malgré ses quarante ans passés, et Monsieur Perrot, le prof de musique efféminé et maniaque, Madame Schneider, la prof d'arts plastiques cyclothymique -un jour méchante, un jour gentille-, et enfin le redoutable Monsieur Pichon, cruel prof de SVT dont la légende raconte qu'il élèverait des cloportes mutants sous son bureau dans le but de créer une armée de ces crustacés pour mener à bien sa guerre sans merci contre les élèves.
Je reçois un texto de Lou, qui demande de mes nouvelles et espère que je vais mieux. Je lui réponds que j'ai connu pire, et me recroqueville sous la couette, bien au chaud dans mon pyjama en coton.