Fragment #39 – La chute d'un mur

« Alors ?
- Toujours rien. »
C'est un peu notre nouvelle façon de nous saluer, Adva et moi, chaque matin en arrivant au collège. Mon père ne s'est pas connecté une seule fois depuis qu'il m'a ajouté sur Facebook. Ce soir, en rentrant à l'appartement, je passe devant maman et Greg, affalés sur le canapé comme des loques, drogués, et me précipite dans ma chambre. Là, j'allume mon ordinateur et Facebook. Et mon coeur se met à palpiter lorsque je vois Florian Mahogany connecté. Lentement, mes doigts se dirigent vers le clavier, tremblants, et entament la conversation :

Bonjour.
Salut, c'est qui ?
Une vieille connaissance.
Oui, mais c'est qui ?

En un rien de temps, je vais récupérer l'adresse d'une image de piscine dans Google image et la lui envoie. Il marque un temps avant de poursuivre :

Ok, c'est une piscine. Et ?
Ca te dit vraiment rien ?
J'ai pas le temps pour les énigmes là mon gars, je suis à Berlin
A Berlin ? Tu y vis ?
Non, je suis de Dijon moi.
De Dijon ?
En Bourgogne, tu connais pas ?
Qu'est-ce que tu fais à Berlin ?
Ben c'est l'anniversaire de la chute du Mur, t'es pas au courant ?
J'avais oublié.
Je viens juste pour parler à des gens là, c'est cher le téléphone.

Je passe une main sur mon visage et ferme les yeux. Ils me semblent chauds. On ne dirait pas que je parle à celui que j'ai toujours cherché. Celui qui a participé à ma création. Celui qui se trouvait dans la piscine où j'ai tant nagé, il y a treize ans, et qui a enlacé maman dans le chlore. C'est lui, et pourtant ce n'est pas lui, comme si l'homme rêvé était mort sous les coups de la réalité.

Et toi, t'es qui ?
Moi je ne suis personne.

Et je me déconnecte violemment, des larmes de feu perlant au bord des yeux.