Fragment #547 – Battez les ego en neige

Je ne supporte pas les gens qui parlent seuls dans le métro. Je ne supporte plus la quête et les odeurs d'urine, la crasse qui suinte sur les poignées des portes et les barres en métal auxquelles on se raccroche, les déchets à même le sol, les flaques étranges. Je ne supporte plus toutes ces publicités qui nous déglinguent les yeux et la tête, ces slogans et ces images qui nous prennent pour des cons, les poèmes sans goût qu'on placarde dans chaque wagon. Je me fous de l'anglais de Wall Street et de faire faire le ménage à des immigrées bien dressées par Shiva. J'ai mal au crâne quand les voix de la RATP grésillent en écho dans les rames de métro. Les souterrains de Paris sont sales et tout y respire la décomposition. Des rats et des insectes courent le long des rails, et des éclaboussures brunes tachent les murs vieillis. Les courants d'air transportent une odeur d'égout, et des gens infirmes et difformes traînent leur corps malheureux, sous des affiches exhibant des Barbies humaines et leurs anneaux précieux. Ici tout est nauséabond, la misère sale empeste sous nos yeux. Des sourires édentés et des âcres parfums, la fourrure et la merde, la poudre et la poussière. Je ne supporte plus les fous, trop nombreux, et ceux qui croient que nous sommes épargnés, et qui lisent 20minutes en croquant des sandwichs Bonne Journée. Je ne veux plus de tous ces écrans tactiles, ces mélodies robotiques et ces « allô, allô, allô ». Je ne veux pas de ce monde où nous nous sommes perdus, seuls dans la masse puante et souillée de sueur, quand le métro s'arrête en pleine voie et que tout s'éteint, que nous sommes comprimés, les uns dans les autres, et qu'une voix lointaine nous dit de patienter dans le noir. Les corps agacés, les regards fuyants, et cette foutue peur qui bat nos ego en neige ; les nerfs crépitent et les dents grincent, on voudrait fuir, on ferme les yeux. On imagine ces plages pixellisées, ces paradis bons-marchés. On voudrait fuir les sens et les gens, ne plus être là, nager loin des corps entassés, les âmes engluées. On espère, tout au fond, que tout ceci n'est qu'un sombre cauchemar, et qu'on se réveillera, et que le monde ne sera pas ainsi.

Monika est là. Elle me regarde et je me perds dans ses longs yeux. Je voudrais me fondre au travers de son âme et m'y dissoudre. Je voudrais me réfugier sous ses paupières.