Fragment #1 - La rêverie

Gabriel le vertueux. Gabriel, celui dont on attend l’acte sauveur. Gabriel, c’est aussi un être mortel. J’en ai assez que les gens, sous prétexte que mon prénom soit « enchanteur », attendent de moi une conduite morale et physique parfaite ! Personne n’est parfait ! Gabriel, tout le monde aime ce prénom, mais personne ne sait d’où vient mon nom. Gabriel, oui, Lilith, non. Je pense que ça reflète bien ma personnalité.

On est tous plus ou moins fou d'ailleurs. Et les plus fous d’entre nous sont en général des génies. C’est bien comme ça, à mon avis, qu’on peut survivre en société…
La preuve que j’en suis : je parle tout seul… Enfin, à ma conscience, en cet instant précis. Je dialogue avec elle. Mais ce n’est pas ma seule interlocutrice. Selon mon état d’esprit, je vais me mettre à causer avec ma peur ou encore avec ma bestialité. Bref, Gabriel, un être humain avant tout avec un mélange de choses pas très catholiques…
J’ai toujours voulu ressembler à ces fous, ces incompris. Je me suis toujours senti proche d’eux. Verlaine, Rimbaud, je les mets sur un piédestal. Je pense que c’est grâce à eux que je suis ce que je suis aujourd’hui : l’harmonie artistique mélangé à l’harmonie du sexe ! Profond désaccord avec la société, mais bon dieu, quelles paires de couilles !! Et dire que je ne le pense que depuis peu…

Mince ! Déjà 9h30 !! Je me suis égaré dans mes pensées, comme souvent d’ailleurs !
Je sors enfin de chez moi, enfin, de chez mes parents, pour me diriger vers la mairie et le bureau de vote. Tout le chemin à faire est en descente – forcément, Ravilloles est sur une colline et j’habite tout en haut- sous des trombes d’eau… Malgré tout, cette eau ne semble pas vouloir me chasser… Au contraire, je marche tranquillement, tout est paisible dans ce village ce matin. J’adore le bruit de l’eau sur le goudron, l’odeur qui en découle… J’emprunte le « petit chemin » de mon enfance, lorsque j’allais à l’école primaire à pieds ou encore au bus pour aller au collège ou au lycée. A chaque pas foulé sur ce chemin, je remonte le temps. Je me vois, le dévalant à toute vitesse, seul ou avec mon amie d’enfance, Laura, en vélo, à pied ou à roller… Le nombre de gamelles qu’on a pu se prendre ici c’est phénoménal ! Je passe devant la maison de la mère Morel. Son muret nous en a fait voir de toutes les couleurs ! En plein virage, généralement, quand on le voit, c’est trop tard… Mais qu’est ce qu’elle était sympa cette mamie ! A chaque fois qu’on enfonçait son mur parce qu’on allait trop vite, elle sortait, nous emmenait chez elle et nous offrait un goûter pour nous consoler ! A la fin, on faisait exprès de tomber ! Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Ce petit chemin et cette allée d’arbres en tout genre, servant de haie pour les habitants mais poussant en plein milieu de la route ! C’est un petit village très agréable Ravilloles. J’aime m’y promener, même sous la pluie ! Tiens ! Je passe devant chez la Dany. Je peux apercevoir sa basse-cour à travers sa haie de thuya – d’ailleurs elle aurait bien besoin d’une taille -. Je me demande si elle a toujours les oies qui m’avait couru après quand j’étais petit quand j’avais voulu les « caresser »… Vraiment, quand on est gosse, qu’est ce qu’on est crédule ! Et on l’est encore plus à l’âge adulte… Déjà 20 ans, mon dieu que le temps passe vite ! J’ai l’impression que c’était hier !
Je m’arrête à la hauteur de la maison de la Dany, de l’autre côté de la route, une vue surplombant le plateau du Lizon. Le seul endroit que je connais comme ma poche. Au loin, il y a mon collège, et caché par cette montagne là, derrière, il y a mon lycée. Mais le mauvais temps bouche un peu la vue. En été c’est magnifique ! Je m’arrête un instant pour contempler et penser au passé. L’été, quand je suis ici, c’est un vrai bonheur, un moyen extraordinaire de se ressourcer ! J’aimerais beaucoup le faire partager aux gens que j’aime… Victor et Elliott entre autre. Je ne les vois plus beaucoup depuis que je suis en étude sup mais ils me manquent beaucoup, surtout Victor… Pas un jour ne passe sans que je ne pense à lui… Et dire que je ne pourrais jamais connaître le fin mot de l’histoire.
Mais je ne m’attarde pas plus longtemps ici, tout le monde va voter ce matin et les gens me regardent avec curiosité, sous la pluie. Je ne connais plus tout le monde, beaucoup de maisons se sont construites et tout le monde emprunte ce « petit chemin ».
J’arrive au niveau de la grande rue, je la descends. Je dis bonjour au maire, qui sort de chez lui, le Dut’ qu’on l’appelle, le père de Laura – j’avais à peine 7 ans que c’était déjà mon deuxième amour ! J’avoue, je suis un peu précoce... Je m’arrête au niveau de l’école primaire. Je repense au passé, à l’innocence des jeunes années, aux jeux intempestifs qui nous donnaient mal au ventre tant on rigolait, au maître qui nous emmenait au stade jouer à la crosse québécoise, au champ juste en face de l’école dans lequel la maîtresse nous emmenait faire de la luge et au retour chez moi, ou ma mère me préparait un bon chocolat chaud, les soirs d’hivers ( et oui, c’est le Jura : 2 saisons, l’hiver et le 15 août), au coin d’un feu de bois. S’accompagne de ces images les odeurs. Très importantes pour moi, voir plus importante que les images elles même ! Celles de sapins, de la mousse humidifiée, de la nature avec comme fond sonore le bruit de la fontaine datant de 2 siècles, derrière l’école, grande bâtisse de pierre, don de nobles à la commune à la fin du 19eme. Je me souviens des truites que le maître mettait dans cette fontaine quand on était gosse pour la fête de l’école !
J’arrive au niveau de la mairie, retour sur Terre. Je donne ma carte électoral à la Nicole, le cliché de la « mama » mais en version européenne. Je vote pour des pourris, ils sont tous pourris. La soif du pouvoir rend vil. Ils se prétendent meilleurs que les autres mais tous supprimeront tous les souvenirs que la futur génération peut se faire ici grâce à l’école puisqu’elle coûte trop cher pour un trop petit village.
Je remonte, je suis un peu déprimé. Bien sûr, le retour pour Lyon de ce soir va me changer les idées. Le fait de faire le voyage avec des amis du cocc’ rallye, qui sont maintenant des amis de Lyon va me permettre de bien rigoler ! Mais, il n’empêche qu’à chaque fois que je rentre chez mes parents, je repense à Victor. Ca fait quatre ans aujourd’hui et on a en a jamais reparlé avec Elliott, on a juste subi. Il faudrait bien un jour évacuer tout ça et passer à autre chose. Je change de chemin pour remonter chez moi. Je passe devant chez l’Arthur, le potier, j’aperçois à travers les fenêtres de son atelier ses œuvres d’art. J’irais bien causer avec lui mais je n’ai pas le temps. Mon travail sur le « je profond » me prend tout mon temps ! Les Beaux Arts c’est bien, mais c’est dur ! Je passe devant le cimetière, même si Victor n’y est pas, je repense, encore, à lui. Même en les voyant moins, je les aime comme des frères, Elliott et Victor.