Fragment #240 – Seul dans la nuit

Mercredi 19 mai 2010
près de Kouandé

03h18. Hier c’était mon anniversaire. Il y a quelques heures encore en fait. Je suis venu m’asseoir sur ce gros caillou en début de soirée, et je n’arrive pas à m’en décoller. Il est là, seul dans la steppe, seul avec moi. Je l’accompagne pour cette nuit, je m’accompagne loin du lit. Loin de la couche et des couches. Bébé pleur beaucoup en ce moment, mes nuits sont courtes, et j’ai affreusement mal au dos depuis quelques jours. Le puits est terminé, l’eau est arrivée dans ce village, je dois m’en aller. Je dois. Pourquoi ? Qu’est-ce qui m’attend ? En France il y a ma mère. Elle ne m’a pas tant manqué que ça. Ici il y a Eva. Eva qui est étrange. Elle se comporte tantôt comme si j’étais l’homme de sa vie, tantôt comme si j’étais un sombre inconnu. Et puis il y a ce que je n’ai pas résolu. Il y a cette boîte. Si je m’en allais maintenant j’aurais vraiment l’impression de laisser quelque chose derrière moi. La boîte. La boîte de métal. La boîte vide.
Je suis arrivé un soir - C’était quelques jours à peine après l’avoir caché- près du monticule de terre. Elle était au sol. Ouverte. Quelqu’un était venu récupérer ce qu’elle contenait. Je ne sais toujours pas qui me l’avait transmise, ni ce qu’il y avait dedans, ni qui cela intéressait-il, ni même pourquoi j’avais l’impression que cet objet avait de la valeur. Je n’ai parlé de cela à personne. Si les gamins du village avaient trouvé la boîte ils auraient fait le tour du village en chantant. En chantant haut et fort qu’ils avaient trouvé un trésor. Mais ça n’a pas été le cas. Quelqu’un a voulu cacher sa découverte. Quelqu’un à voulu cacher mon trésor.
Je ne voulais pas attirer l’attention, je ne voulais pas montrer que j’avais vu qu’on m’avait volé. Alors je n’ai même pas pris la boîte. Mon nom avait, de toute manière, été effacé.
Les étoiles brillent dans le ciel. Mais ça ne durera pas jusqu’au matin. J’ai appris dans ces quelques semaines à sentir la nature. Et là, ça sent la pluie. Elle va arriver. Si ce n’est pas dans la matinée ce sera dans l’après-midi, mais demain on sera rincé. Je me sens complètement libre ici. Je n’ai pas envie de partir. Si je pars, c’est aussi un peu de ma liberté que je vais laisser là. J’aurai laissé de la sueur et de la liberté. Je laisserai une partie de moi ici. On discute avec les gens. Ils vous prennent pour leur enfant, et rien ne semble plus naturel. Je suis le Yovo, -le blanc-, ils sont les Mewis. Les enfants m’appellent comme ça. Alexandre c’est trop long, et ils ont du mal avec les « x ». Alors souvent, pour les adultes, je suis « Haless’ ». Ca va me manquer. Je ne peux pas rester éternellement ici ; je le sais, et ça me fait de la peine d’avance.
Sans m’en rendre compte je suis descendu de mon caillou, et je marche en direction des cases. Le sable est frais, il y a une grande différence avec le sable de la journée qui est brûlant, et qui semble protéger le désert de tous ceux qui souhaitent y marcher.
Hier c’était mon anniversaire. Personne ne me l’a souhaité. Je m’en suis remis aux astres, et en regardant dans le ciel, j’ai trouvé Bételgeuse. Elle n’est pas au même endroit que depuis la France mais je l’ai reconnue parmi les autres.