Fragment #5 - Buée

De la buée se forme sur la vitre là où mon souffle se pose. Le verre est froid malgré le soleil apparent dehors. Je regarde le paysage défiler sous mes yeux. Des champs, des bois, des animaux, des fermes plus ou moins vieilles mais surtout des gares. Des gares remplies de gens prêts à partir pour l’inconnu ou alors de routiniers qui vont, le pas lourd, au travail. Il y a peu de voyageurs dans le wagon où je suis. Il y a des étudiants ou des lycéens qui sont le nez dans leurs livres ou alors en train de dormir. Un petit groupe de filles rigole plus loin, je les observe parfois par-dessus le siège de la banquette qui me fait face. Elles me lancent des petits clins d’œil, se regardent et rigolent de plus belle. Je ne me sens pas touché, après tout on se détend comme on peut. Je retourne à ma contemplation du paysage. J’ai envie parfois de tirer le signal d’alarme pour que le train s’arrête en plein milieu d’un champ et de sauter dedans ou alors de prendre le temps de l’admirer. Ces pensées s’échappent au fur et à mesure que ma destination approche. Le vert est remplacé par le gris. Le ciel semble s’obscurcir au fur et à mesure que le train avance, les couleurs perdent leur vie et au final règne une impression d’une métallisation du décor. Les champs sont devenus usines, les nuages des rejets nauséabonds, les chevaux le long de la voie sont devenus engins à quatre roues. Tout s’est transformé. Métallique, chromé, étincelant. Tout brille. Enfin, à l’extérieur. L’évasion et les grands espaces mutent en repli et bâtiments austères. Les gens se précipitent vers les portes alors que la rame ralentit, tous pressés de rejoindre au plus vite le cœur de la ville. Le train rentre en gare doucement. Bienvenue en gare de Lille Flandres, Terminus de ce train. Je descends sur le quai, voie 3, en dernier, laissant passer les autres passagers courir vers leur bureau ou logement. Je regarde les panneaux publicitaires aux couleurs d’Orange ou autres films de science fiction pour enfant à propos de messager du futur. Le futur est mal parti si j’en crois les cris de la vieille dame en noir qui circulent dans la gare. Sa colère ne faiblit pas. La mienne a été évacuée ces deux derniers jours lors d’un passage chez mes parents. Leur sagesse et leur calme à chaque fois suffisent à me remettre les idées en place. Voie 4 le train TER numéro 843838 le train à destination de Cambrai va partir. Cambrai… Je crois me souvenir que Suzanne avait de la famille par là-bas. Un instant j’ai l’impression de sentir sa présence. Comme si son parfum flottait dans l’air. Etrange. Je n’avais jamais repensé à Suzanne aussi fort jusqu’à ressentir sa présence alors que je suis au beau milieu de la gare. Je regarde le train partir à la voie d’à côté. Je reste un instant dans mes pensées puis sors de la gare. Je lève la tête et fixe ce ciel bleu-gris, ciel de ville, pollué. La vie et la ville grouillent autour de moi. Je fais un pas, puis deux, puis trois. Je traverse la place des Buisses et file vers mon immeuble. Je m’en vais observer la vie de là haut. A l’abri.