Fragment #1 - Images Perdues

Parfum âcre de mort. Toute la vie semble partir en fumée a quelques bouffées de dioxyde de carbone de moi. Je viens d'y mettre le feu. Il semble être content de moi ; c'est vrai que ça brûle bien. Entre feuilles, branches, ronces et brindilles, il y a cet enfant. Un petit chérubin qui semble perdu ; perdu au point de ne pas s'enfuir, où aller puisqu'il ne sait même pas où il est.
Voilà qu'on en amène d'autres ; des femmes, des enfants, des hommes, noirs, blancs, et haut en couleurs ; en robes de mariage, de baptême ou de communion. Ils me sourient. Je pleure. Même les soldats en uniforme me sourient ; je suis sûr qu'ils me haïssent ; tous, ils me haïssent tous, enfin, ils ne peuvent pas faire autrement. Ils me sourient. Ils me regardent, ils sont là tous à me regarder avec leur petits sourires d'enfants de coeur ; se tordant sous les flammes. Me fixant. Qu'ils arrêtent, c'est insupportable. Je ne les connais pas, de quel droit se permettent-ils tant d'insistance. Baissez les yeux. J'ai peur. J'ai mal. Je pleure. Je suis pâle. Aucun râle. Aucun pleur. Aucun mal. Aucune larme. Rien que la joie dans leurs yeux. Et moi qui brûle, je me voie dans le reflet des flammes rougeoyante sur cette surface brillante qui entoure leurs yeux. Horreur. Erreur. Candeur. Tout danse autour de moi , les feuilles au vent, flammèches et branches, rêves et réalité. Tous enlacés ; comme ces êtres plastifiés surpris dans leur valse effrénée, capturés par un oeil de verre, volé par un objectif hagard et préparé. Dire qu'ils dansaient main dans la main avec la vie, leurs doigts renfermant cette précieuse chose. Ils y tenaient, ils y dansaient. Une valse effrénée, un tango on ne peut plus lascif, un mambo endiablé, un slow langoureux, un paso-doble enflammé... mais pourquoi tout revient toujours à ces maudites braises qui me rappellent homicides, fratricides, parricides, et nombre d'autres que je commets? Merde ! je ne suis pas un assassin. Trop de vie. Trop de mort. Et si peu d'envie pour tant d'efforts. Souffle. Je ferme les yeux un instant, celui d'après certaines photographies ont vu des sourires s'effacer, -gagné ?-; mais non, elles ont entièrement disparues, ces images et les personnages avec, -perdu !-. la mine gracieuse et satisfaite des nouveaux arrivants me fait mal, me transperce de part en part ; les rares couleurs sont les plus insoutenables, elles sont plus proches encore de moi qu'auraient pu l'être les autres ; on voit le rose de leurs joues d'enfants doucement devenir cramoisie, déformé, noir, trou... « Eph... »
Silence, j'avais osé parler tout haut. Il en suit donc les légitimes grognements de grand père que j'ai malencontreusement dérangé dans sa perplexité habituelle.
Encore une caisse bougonna-t-il en descendant la dizaine de mètres pierreuse menant à la remise jouxtant la vielle baraque qu'ils occupent l'été. Pendant mes vacances à la campagne, grand-père m'emploie pour débroussailler, tondre, couper, tailler, m'occuper, bref bichonner son petit jardin morvandiau. Il a donc profité de ce feu annuel pour se débarrasser de « ... la famille K. ... souvenirs... 1850... le Marcel D. ... intéresse plus personne. » c'est ce que j'ai retenu de l'inaudible bruit émanant de la bouche de grand-père, ou ce que j'ai bien voulu tendre l'oreille à un certain moment, un sursaut d'attention pour savoir s'il avait terminé ou s'il s'endormait sur son siège.
Je choisis une souche, l'unique souche qu'il y a à moins d'un pas, sors papier stylo, m'y assied, et continue ma lettre.
Oui il faut absolument que je lui écrive.