Fragment #17 - Tri-Postal

Ian m’attend dans le hall d’entrée du Tri-Postal entièrement repeint en noir à l’occasion de l’exposition photographique. Il me serre la main vigoureusement.
« Content que tu sois venu. J’imagine qu’un jeune homme comme toi doit avoir des soirées occupées. »
Il me fait un clin d’œil et je souris en réponse à cela, gêné.
« On boit un verre ou on commence à faire le tour de l’expo tout de suite ? »
J’indique la galerie. Nous avançons et les premiers portraits noir et blanc de stars du cinéma apparaissent. « La cérémonie des portraits » de De Perlinghi nous montre une œuvre faite à l’aide d’un simple 6x6, un fond noir et un spot. Les acteurs font le reste. Leur charisme. Johnny Depp, Liam Neeson, Hale Berry et d’autres se succèdent. Nous continuons et arrivons sur une série de portraits carrés de Denis Rouvre. Son travail est magnifique, mettant à nu les acteurs et actrices qui ont posé. L’exemple le plus flagrant étant celui d’un portrait de Lambert Wilson complètement nu, entièrement rasé. Ou encore Audrey Tautou qui désarme exposant son corps si blanc et parfait. Nous continuons et les tirages nous surprennent par leur qualité. Patrick Swirc, le studio Harcourt et d’autres alimentent notre discussion entre Ian et moi sur la photographie et la technique. Ian se montre agréablement surpris par mes connaissances.
« Tu dois être un bon assistant. Dommage que tu sois mal utilisé.
- Jean-Charles m’a assigné au tri de ses négatifs. Je préfère déjà ça que d’être à la communication ou à taper des articles. Et puis qui sait… Je trie les négatifs voilà tout.
- Hm. Les négatifs. Bizarre d’entendre encore ce mot à l’ère du numérique. J’ai cru comprendre que tu faisais encore de l’argentique.
- Oui. Pas mal même. »
Nous argumentons un moment sur le sujet tout en continuant à déambuler au milieu des tirages de Copeland, Pesser ou Delsaux. Les étages font la part belle à la création artistique pure. La photographie devient un support plus qu’une œuvre à part entière.
Presque deux heures passent sans que nous nous en rendions compte. Nous sommes revenus au niveau de l’entrée et du petit coin café où Ian m’avait proposé de boire un verre en arrivant. Nous prenons place sur des petits canapés rouge. Ian commande directement deux cocktails sans alcool. Tant mieux, le goût amer de la vodka et du réveil étant encore dans ma bouche. Ian est très simple. Il me parle de sa carrière. Comment il avait, comme moi, été assistant mais aussi comment il s’en était sorti rapidement, m’expliquant qu’à l’époque de l’argentique, les vrais photographes étaient moins nombreux et plus recherchés. Il me parle de sa famille, de sa femme, modèle, qui lui a donné un fils.
« Et toi Damien ? Tu as une famille ?
- Mes parents et une petite sœur. C’est tout.
- Pas de petites amies ? Trop nombreuses pour les compter vu ton air songeur… »
Il sourit et me fait un clin d’œil. Sofia et Suzanne se succèdent dans mon esprit. Agnès aussi.
« Je te taquine Damien. Mais j’avoue ne t’avoir jamais entendu parler d’autre chose que de photo ou ne t’ai jamais vu avec personne d’ailleurs.
- Je n’ai pas le temps. C’est tout. »
Je sens le sang affluer à mes joues. Je ne me sens pas très à l’aise mais Ian n’a pas l’air méchant. Pourquoi ne pas lui accorder mon amitié quand je le connaîtrai plus. Il m’inspire confiance. Pour une fois que cela arrive. Je bois mon verre tout en l’écoutant me parler de sa famille. Sa famille. Qu’il a fondé. Un jour, peut-être moi aussi, je fonderai ma famille.