Altaïr
| Sujet: Fragment #15 - Bouquet de lilas 09.04.08 13:59 | |
| Jeudi 4 mai 2006 à Dijon L’état d’urgence est déclaré. Mon futur arrive face à moi pleins phares, jetant l’obscurité devant mes yeux éblouis. Toujours cette éternelle question de notre occidental way of life, le que vais-je devenir ? Je ne peux pas rester une année de plus ici, dans cette petite université provinciale, à préparer une misérable licence de lettres dont je ne saurai pas quoi faire au final. Il faut que je parte, que je quitte Dijon, que je largue les amarres et dénoue les liens avec le macadam et les pavés de mon enfance. J’aspire à la vie Parisienne, déambuler sur les bords de la Seine et humer le parfum de l’Art, contempler, dans une béatitude religieuse, l’étendue du plus illustre séjour des Muses. Ici tout me répugne, et je me sens comme un asthmatique, comme si l’air n’infiltrait plus les alvéoles de mes poumons sans douleur. J’ai envie de changer d’air… Retour en arrière de quelques heures. Engueulade avec Jill dans la matinée. La simple évocation de Nalvenn au détour d’une conversation banale a changé ma petite amie en furie, déchaînant sa rage et sa jalousie. Deux heures à cracher sa colère sur mon visage rendu impassible par la fierté, puis un claquement de porte dont l’écho a mis un long moment à se résorber dans mes tympans. La colère qui bat à même le sang dans les joues, et des vagues de chaleur. L’été est en marche. Ma peau dore sous un soleil paladin en avance sur le champ de bataille céleste, luisante de sueur. Ces nuits ardentes passées dans les bras de Jill ont alourdi mes paupières et plongé mes membres dans une grande lassitude. On repart quelques heures en avant. Encore une dissertation ratée. Le campus se dessine à présent comme un milieu hostile, un vivarium où pullulent des individus nuisibles à mon existence. Je pense à moi, mon avenir, à cette énorme tache d’huile noire. Ne suis-je destiné qu’à une vie nocturne, qu’à évoluer au rythme tellurique des basses et des dance floor ? « Tu as changé. », me dit Nalvenn dans un souffle à la bibliothèque universitaire, entre les colonnes de dictionnaires et de bouquins qui s'amoncellent à notre table. J’ai changé. Et alors ? Qu’est-ce que ça peut faire ? J’ai changé ! J’en suis fier. Qui peut me juger ? Rouge de fureur, je quitte la bibliothèque et son silence étouffant, oppressant. Il fait si chaud… Ne peut-on pas ouvrir une fenêtre ?! Je suis dehors… Je n’avais pas remarqué. Il n’y a pas d’air, pas de vent. Accélération du temps. La journée défile sous mes yeux pour me projeter dans la lourde tiédeur du soir. Je passe dire bonjour à maman et papa à la maison. Florian est là, exhibant son torse nu de petit fils modèle en coupant des branches de lilas dans le jardin afin de composer un bouquet pour maman. Cette image évoque en moi un tel sentiment d’injustice que maman semble l’apercevoir et, peut-être dans un élan de complicité pour moi, elle accepte les fleurs mauves et blanches avec un sourire humble, sans dire merci. Maman préfère de loin les voir croître et faner au fil des saisons à même les arbres du jardin plutôt que de regarder, impuissante, leur pourrissement à domicile. Régénéré par un sourire de maman, je me sens le cœur débordant de bonté et prêt à venir en aide à la terre toute entière. Mais par où commencer ? Une fois encore, maman vient à mon secours. « Ton petit frère n'est pas en forme, tu ne voudrais pas nous le sortir un peu Julian? » Et moi voilà dans cette salle de cinéma, protégé de l’atmosphère chaude qui règne à l’extérieur, de l’agression des pollens printaniers et des cohortes d’insectes volants qui s’abattent en escadrons sur nos peaux sensibles de citadins, assis à côté de Lilian, boudeur. J’ai réussi, non sans difficultés, à le traîner hors de la maison jusqu’ici ; j’apparais donc à ses yeux comme un ennemi. Une vibration résonne contre ma cuisse. Je reçois un texto de Jill, mais les regards courroucés des autres spectateurs me culpabilisent et m’interdisent de le lire avant la fin de la séance. Alors le cœur battant, les minutes se font plus longues que les heures… Enfin nous émergeons à l’air libre, chargé de la fièvre vespérale du printemps. Lilian s’éclipse sans un mot ; il ne m’adressera plus la parole pendant quelques temps. Mes doigts frémissent en caressant les touches du portable.
Salut Julian.quel bonheur 2 recevoir un message quand on ne peut pas le lire!l’impatience renforce le plaisir.C mon petit Kdo du soir,en attendant de pouvoir me faire pardonner…Je t’embrasse tendrement.Jill
Il est des plaisirs qui ne se comprennent pas, mais se savourent. | |
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