Fragment #32 - Reprise (Breathe)

Reprendre un mardi me fait bizarre. J'aime bien quand le début de ma semaine de travail coïncide avec le début de la semaine sur le calendrier. J'aime bien quand un mois commence le lundi. J'aime bien quand le premier janvier est un lundi. J'aime bien, c'est tout. L'inconvénient c'est que le lundi est précédé du dimanche. Journée paisible, réservée à la détente dans son chez soi. Mais finalement, je n'aime pas rester à rien faire. Alors bien souvent, à la maison je ne me pose pas et je pars faire quelques photos. Différentes de celles du travail mais de la photo quand même. Enfin. Toutes ces pensées pour en revenir au fait que je commence un mardi et que je trouve ça bizarre. Et puis en même temps, je n’aime pas le lundi par principe. Voyons donc cela comme un compromis. Il est huit heures quarante et j’ai la tête pleine de ces bêtises. Je ne commence qu'à neuf heures normalement mais j'ai envie de me remettre un petit peu dans le bain avant que Jean-Charles, mon supérieur direct, accessoirement tyran à plein temps, ne me tombe dessus et ne m'abrutisse d'une nouvelle tâche ingrate. Et puis si je pouvais croiser Ian avant aussi, ce serait plutôt sympa. Je pourrais peut-être enfin le remercier pour ses appels fréquents et surtout pour m'avoir couvert au travail. Il n'a pas parlé de ma bêtise, mais a annoncé que j'avais eu des petits ennuis de santé qui avaient un lien direct avec mon incident au travail. Sympa. Et puis, sans lui et son coup de fil à la maison de mes parents, je serais très certainement mort.
Je passe enfin les portes du journal, et fais face aux premiers regards. Des regards interrogateurs d'abord, puis certains se muent en regards sympathiques accompagnés de quelques mots de bienvenue. Je remercie et continue à avancer vers l'ascenseur lorsqu'une des filles de l'accueil, Julie, une jolie brune au corps fin et superbement habillé d'un tailleur du meilleur effet, m'arrête. Même amoureux d'une autre, je ne peux empêcher mes yeux et mon esprit de vagabonder sur ses lignes. Elle réajuste sa jupe lorsqu'elle s'aperçoit que je dévore copieusement ses deux magnifiques jambes. A son geste, je me rends compte de mon impolitesse, et jette mon regard affamé sur mes pieds.
« Vous êtes attendu au bureau de Monsieur Lavat à neuf heures.
- D'accord. Je passe au cinquième avant si vous voyez Ian...
- Il sera présent à votre rendez-vous de neuf heures.
- Oh. Ok. Merci. »
Les portes de l'ascenseur se referment sur moi lorsque Julie qui se tient encore dans mon champ de vision, me lance un clin d'œil et un sourire qui me fait rougir intérieurement. Lors de la montée, deux choses m'interpellent. La première est que je n'avais jamais remarqué à quel point Julie était séduisante et la deuxième est que je ne m'étais jamais comporté ainsi, d'une manière aussi bestiale, comme soudainement affamé de chair tendre et fraîche. Je n'en suis pas fier, mais le dernier regard lancé par Julie m'a emplie de désir.
Cinquième étage. Les couloirs n'ont pas changé. En un mois et demi, rien n'a changé. Je retrouve ma geôle comme je l'avais laissé. Les classeurs, les boîtes, les étagères, l'absence de fenêtre, la table et la petite chaise. Tout est là. Je regarde ma montre après avoir posé mon sac. Déjà huit heures cinquante. Le temps de passer prendre un chocolat chaud et de redescendre au troisième et il sera l'heure de mon rendez vous. Bon laissons tomber le chocolat. Je file au troisième et arrivé devant le bureau de Jean-Charles, je suis accueilli par un bonjour à l'accent anglais. Je me retourne et me retrouve nez à nez avec un visage qui ne m'est pas inconnu. Le garçon du Golden Wave. Sean.
« Bonjour Damien. Comment tu vas ? »
A part l'accent, il semble à l'aise avec le français.
« Je suis ton nouveau partner. J'ai été engagé pour te remplacer.
- Alors comme ça, tu es photographe aussi ? Cool. Vraiment ravi de faire ta connaissance. »
Jean-Charles et Ian arrivent en même temps et nous convient à les suivre dans le dédale de couloirs. Nous nous exécutons et finissons par stopper au cinquième étage, dans un grand bureau où deux bureaux sont installés avec chacun un Mac Pro, deux écrans trente pouces Apple et une tablette graphique Wacom. Ian se racle la gorge et se lance dans un petit discours.
« Voilà les jeunes. Nous avons l'honneur de vous annoncer que le journal va bien et fait des bénéfices depuis maintenant plus d’un an qu'il est ouvert. Nous nous lançons donc sur un autre marché. L'internet. Damien, je te présente Sean Kross. Il a une formation de photographe mais est plutôt porté sur la vidéo. Vous travaillerez à deux pour le site. Voilà donc vos nouveaux quartiers. Vous aurez des sujets programmés par la direction mais vous aurez carte blanche pour les sujets artistiques. Maintenant, à vous de nous impressionner. »
Je reste silencieux tandis que Sean regarde partout et fouille les grosses valises métalliques pleines de matériel vidéo et photographique. Ian m'encourage du regard à en faire de même. Jean-Charles finit par prendre la parole.
« Ne vous réjouissez pas trop. Ca ne tiendrait qu'à moi ce département n'existerait pas. Alors à la première erreur, vous dégagez. »
Je le regarde avec un grand sourire, un goût de liberté dans la bouche.