Fragment #17 - Retard inopportun

Je pose ma trousse devant moi, à l’extrémité de ma table, et la pousse un peu de l’index pour qu’elle soit parallèle aux lignes du bord. Je crois que ma classe commence à comprendre ce que je suis. Etienne ne s’assoit plus à côté de moi. Plus personne ne s’assoit à côté de moi, et ce même quand je suis vers le devant de la classe, alors que ces places bien situées sont chèrement vendues à chaque début de cours. Pour ma part je ne ressens pas le besoin de m’y mettre, mais je sais que ça les emmerde que j’y sois, alors je ne me gêne pas.
Je sors mon classeur et mon bloc-notes et les pose également devant moi, prêt à noter. La seconde sonnerie retentit, et madame Deguizer, professeur de mathématiques de son état, lève la tête vers nous, son habituel sourire niais plaqué sur le visage. Je ne l’aime pas.
La porte s’ouvre à nouveau, et Marie entre, essoufflée. Elle vient sans doute de monter les quatre étages en courant, et je souris involontairement en voyant sa poitrine se soulever rapidement et ses joues colorées par l’effort. Elle cherche du regard une place, et se dirige vers une chaise libre au fond. La prof l’interpelle à cet instant :
« Mademoiselle Ticah, vous n’allez pas vous mettre si loin de moi ! Prenez donc place à côté de Léopold, il n’attend que vous, il se réjouit d’avance. »
Mon sourire se fige. Je n’arrive pas à l’enlever, et pourtant c’est comme si mon estomac venait de partir sans prévenir. Je regarde madame Deguizer avec cette même expression immobile, et elle semble brièvement perturbée par mes yeux. Elle se rattrape en regardant ailleurs.
Marie, elle, ne bouge pas. Elle a la bouche un peu ouverte. Je la hais. Je crois qu’elle me hait aussi, à présent. Elle ne m’a pas adressé la parole depuis la dernière fois. Elle ne me regarde plus, elle m’ignore royalement, à peu près exactement comme je le fais avec elle.
« Allez, que nous commencions ! »
Elle se met en mouvement, s’approche de moi, tire la chaise, s’assoit sans me regarder, et sort ses affaires.
Nous reprenons nos primitivations. Je sens une odeur étrange qui émane de ma voisine et qui me donne envie de vomir.
Le cours se passe ainsi, deux heures de supplice, pendant lesquelles nous avançons heureusement assez vite. Sans faire exprès, je pousse un profond soupir de soulagement lorsque la sonnerie se fait entendre à 16h, marquant la fin de la journée de cours. Marie se lève presque aussitôt, range ses affaires pêle-mêle et va rejoindre Alexandre, un peu derrière. Je ricane sans bruit en me disant que ces deux heures auront sûrement été pires encore pour elle que pour moi. Je me lève et, mon sac sur le dos, sort de la salle, puis du lycée, pour aller prendre mon bus.