Altaïr
| Sujet: Fragment #212 - Le sourire de Lilian 11.04.08 23:43 | |
| Samedi 28 avril 2007 à Dijon Dehors, il fait une chaleur étouffante, et ça ne diminue pas. Pourtant nous ne sommes encore qu’au mois d’Avril. L’effervescence des dialogues entre les clients du Dionysos au sujet des élections du 6 Mai prochain me fatiguent, à savoir qui l’emportera entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Il faut faire barrage à cet homme, coûte que coûte, c’est une conviction qui dépasse les idéaux politiques. Il s’agit aujourd’hui de lutter contre un individu qui nourrit peur et haine en flattant le peuple, en prétendant vouloir le protéger. « Un demi s’il vous plait. » Je m’exécute. Pas le temps de penser ici. Dehors, il fait toujours chaud. L’astre lion écrase Dijon de toute sa splendeur. Je m’ennuie un peu, quand bien même le nombre de clients ne cesse de s’accroître au fur et à mesure que passent les jours. Je n’ai pas de nouvelles de Jed, Nathan ou l’Efta. Et tandis que le jour de mon déménagement se rapproche de plus en plus, je n’ai toujours pas trouvé de logement. Du moins jusqu’à ce que Lilian ne vienne franchir la porte du bar. Cheveux mi longs châtains coulant sur son visage fin aux lignes parfaites, regard de feu acajou derrière de grands cils, bouche aux lèvres rouge tendre et charnues, je réalise pour la première fois combien il ressemble à Arthur, ce personnage que je croyais tout droit issu de mon imagination. « Qu’est-ce que tu fais là ? je lui demande tandis qu’il s’installe au comptoir à côté de Jack. - J’ai un truc à te demander - Mais comment tu as su que je… » Je suis interrompu par l’arrivée de Géraldine, cigarette sur les lèvres, qui pose sur les épaules maigres de Lilian ses longs doigts aux ongles saignants de vernis et murmure, en me fixant sous de lourdes paupières fardées de mauve : « C’est un joli morceau ça, hein mon trésor, vous êtes parents ?… - Oui Géraldine, c’est mon frère, et il n’est pas intéressé. » Je crois l’avoir vexée. La vieille harpie au bustier indécent s’éloigne, comme un rapace déçu, pour aller tournoyer ailleurs, à la recherche d’une autre proie appétissante. Lilian esquisse un faible sourire, et ce mouvement sur ses lèvres déforme l’image de lui en moi, érodant la figure du Lilian morne et froid, de l’adolescent déprimé et associable qui faisait toujours la gueule aux repas de famille. « Bon, dit-il en prenant son souffle, ça va te paraître complètement dingue mais… Depuis que Papa sait que tu as arrêté la fac et qu’il a décidé de ne plus t’envoyer d’argent, c’est moi qui hérite en quelque sorte de l’argent de poche qui t’était réservé avant. Alors je me suis dit que peut être tu voudrais bien emménager avec moi dans un appart que j’ai trouvé rue Docteur Chaussier, avec l’argent de Papa et ta paye, on devrait pouvoir payer le loyer à deux, enfin si tu es d’accord bien sûr. » Je regarde Lilian, ouvre la bouche, puis la referme. C’est sans doute la première fois que je l’entends prononcer une phrase aussi longue, je n’ai pas l’habitude. Et il me faut le temps d’assimiler sa proposition, assez invraisemblable de prime abord. « C’est où, la rue Docteur Chaussier ? je demande pour gagner du temps. - Juste à côte de la Place Darcy, me répond-il aussitôt. - Ca doit être cher. - Ca peut pas être plus cher que ton appart place Grangier, et puis c’est plus grand. - Qu’est-ce que t’en sais, t’es jamais venu chez moi Lilian. - Alors, tu es tenté ? » Vivre avec mon petit frère dans un appartement plus grand, mon frère Lilian que je connais si mal. Il esquisse un second sourire, ses yeux se plissent avec timidité. « Laisse moi réfléchir un peu, dis-je en sachant combien c’est inutile. » | |
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