Altaïr
| Sujet: Fragment #224 - Je voudrais redevenir like my teen spirit 12.04.08 0:08 | |
| Vendredi 18 mai 2007 à Dijon Emerger d’un sommeil léthargique et sans rêve, et prendre lentement conscience du réel, du poids de l’édredon sur mon corps, de la surface moelleuse qu’offre l’oreiller avec le traversin. Il fait froid. Je me lève. Vais dans la cuisine, prépare le petit déjeuner. Un café noir dans mon bol. Amertume au creux de l’intérieur buccal. Dans sa chambre, Lilian dort encore, je crois qu’il fait le pont après l’Ascension. Visage source d'inspiration. Tartine beurrée avec de la confiture qui colle sur les doigts. C’est ça la réalité, c’est poisseux, ça pique, ça gratte. Un amas de sensations qui grouillent. Je dois me dépêcher. Prendre une douche, me brosser les dents. Passage devant le miroir de la salle de bain. Aucune angoisse n’est générée par l’ennemi rectangulaire dans son cadre de bois. Mon reflet s’y déverse sans peur. S’habiller, prendre les clés. Refermer derrière soi, descendre les marches de l’escalier. Je croise un vieux type claudiquant et la concierge à l’air mal-embouché. Rue Docteur Chaussier. Place Darcy. Rue de la Liberté. Rue du Bourg. Rue Amiral Roussin. Arrivé au Dionysos, saluer Louis. Je vais me changer dans la cabine, reviens derrière le comptoir. Nettoyer les tables après le passage des clients, prendre la commande, servir, récupérer l’addition, nettoyer. Etre aimable et souriant, même les jours où ça ne va pas. Aujourd’hui ça peut aller, alors c’est plus facile, forcément. Michelle apporte une quiche aux poireaux vers 11h, je rechigne en voyant le vert dans la pâte, nous mangeons. La journée se déroule sans accroc, le temps passe de manière plus ou moins uniforme, en fonction des clients. Il y a les habitués, Jack, Géraldine, ou bien Léonie. Et puis il y a les autres, ceux dont on ignore si on les reverra ou non. S’asseoir un moment lorsque les clients se font peu nombreux. Sortir l’ordinateur portable, l’allumer, ouvrir une page Word, reprendre l’écriture où elle s’était arrêtée. Interrompu par l’arrivée des clients, je dois couper l’inspiration et me lever. Et puis la journée lentement s’achève, la lumière décroît. Nettoyer les tables, aller à la plonge, passer un coup de torchon sur le comptoir. S’assurer de n’avoir rien oublié, ce soir Louis est rentré plus tôt et c’est à moi de fermer. Je repars en sens inverse. Rue Amiral Roussin. Rue du Bourg. Rue de la Liberté. Place Darcy. Rue Docteur Chaussier. Mon appartement, 7e étage. La concierge n’est pas là, tant mieux, je ne l’aime pas beaucoup. Lilian révise ses cours devant la télé, le baccalauréat approche. Je me sens loin de ça, je me sens loin du monde. Alors je vais dans ma chambre, je m’allonge, et je m’endors aussitôt. Je voudrais redevenir.
La radio crachait à 7h45 une musique bien rock dans la chambre. Arthur l’éteignit en craignant qu’elle n’aie déjà réveillé ses parents, puis se rendormit. Lorsqu’il se réveilla une heure plus tard, il comprit qu’il ne serait pas à l’heure au lycée ce matin. Il abandonna sa couette et se précipita d’un pas lent dans la salle de bain. Passa sous l’eau froide un visage endormi, se brossa les dents en rejetant de temps à autre sa tête en arrière, histoire de chasser de ses yeux mélancoliques la frange de cheveux qui les dissimulaient. Il enfila son tee-shirt à rayures rouges et noires et le pantalon qui tombait en découvrant presque entièrement son caleçon, passa une main experte dans sa tignasse, afin de lui donner un air soigneusement décoiffé. Une fois dehors, ses converses lacées, il sentait un frisson courir son échine, et l’air froid et terne s’infiltrer en lui, le picotement aride du réel, de ce quotidien érodé par les jours. Il prenait le bus pour rejoindre son lycée, dans la foule compacte et moite des anonymes frigorifiés. Alors il regrettait plus que jamais de n’avoir plus ce pouvoir qui le rendait unique, ce pouvoir dangereux qui le libérait de ses interdits, qui exacerbait son agressivité et sa violence, ainsi qu’une puissance incommensurable. La colère alimentait cette force en lui. Mais ce n’était pas SON pouvoir. Arrivé dans la cour du bahut, Arthur balaya son champ de vision, le déploiement des lycéens pseudo-dépressifs et niais, à la recherche de J. Mais il ne le trouvait pas. Il vit L. s’approcher de lui près de la cafèt’ et espéra qu’elle ne venait pas lui parler. L. était jolie. L. était son ex. Arthur ne voulait pas avoir à faire à elle. Pas aujourd’hui. « Salut Arthur. - Salut L. - Ca va ? - Et toi ? » La sonnerie retentit, et aucune trace de ce putain de J. Le soir, assis sur le muret du cimetière, Arthur repensa au soir où N. lui avait parlé. N. L’homme au masque de métal. Celui qui a le pouvoir de localiser les Autres. En copiant cette capacité, Arthur avait pu retrouver J. Alors il ferma les yeux et se concentra. Il écouta son cœur qui pulsait et déploya sa conscience au delà des limites de son corps. Il survola le cimetière et la rue, le quartier, s’étendit sur toute la surface de la ville et en déborda. Il devenait harmonique, il infiltrait la matière et la sondait. Le pouvoir de N. encore intact en lui. Et il retrouva J. | |
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