Fragment #28 - Chez Lilian

Encore un fois dans cette haute et belle maison amie. Tout est calme, tout est paisible. Rien ne bouge. Nos corps inertes s’observent. Rien d’autres que nos voix qui résonnent. Observer, dans le sens « faire des remarques ». Il est assis sur sa chaise, moi étendu sur son lit. Dehors il fait gris, un gris lumineux qui permet à 16h00 d’y voir encore clair sans allumer. Le brouillard est parmi nous. Il calfeutre les moindres bruits ; on vit dans du coton. Ça fait plusieurs heures que nous sommes dans cette même position à parler de tout et de rien ; avec Lilian c’est plus souvent de tout que de rien. Ici ‘‘tout’’ se résume à l’énumération des cadeaux reçus par chacun de nous pendant les fêtes, à l’échange d’avis sur tel et tel chocolat, et en grande partie au mystère qui entoure le capitaine Haddock.
Plus j’y pense, et plus le petit mot, posé sur son bureau, est écrit avec la main gauche de Laura. Elle s’est cassé le bras droit, je connais cette écriture. Mais ça ne tient pas debout.
D’après Lilian, je ne devrais pas m’en faire et ne plus y penser. C’est sûrement une blague, et je suis tombé dans le panneau. C’est également ce que je me dis, mais c’est pas aussi facile qu’on ne le croit. Les papillotes ne disent-elles pas « qui pense à oublier se souvient » ?
Tout à coup Lilian se lève, que dis-je, s’éjecte de sa chaise, avec un sourire qui irait plus loin que ses oreilles si celles-ci avaient été plus petites. Et tandis que je me redresse :
« Au fait, pour le nouvel an : ça y est ! J’ai réussi à convaincre mon frère de nous emmener avec lui à une soirée. On va pouvoir faire la fête comme des grands. »
Le trouble fait place à l’excitation, et on se perd à imaginer ce réveillon. Chacun y va de ses idées, des ses envies, des ses suspicions. On va d’étonnements en éclats de rire.
Ça promet d’être une sacrée soirée.
Ce Lilian, c’est vraiment un ami.