Altaïr
| Sujet: Fragment #249 - Sueur et glace 12.04.08 11:31 | |
| Mercredi 20 juin 2007 à Dijon De la sueur dévale mes tempes. La moiteur imprègne ma peau et mon tee-shirt, omniprésente, elle se colle aux tissus et les imbibe, liquide intelligent qui progresse et se répand. Mes bras accrochent sur le comptoir humide. Je déteste ces sensations visqueuses, ce réel chargé de miasmes gluants. Je déteste l’été en marche et sa cohorte de transpiration. Un bruit dans l’amas des sensations me fait émerger. Un son perdu dans le Dionysos abandonné. Je me dirige vers mon portable laissé allumé et y découvre une conversation MSN qui vient de s’ouvrir. C’est l’Efta.
L : Yep. Julian : Salut. Désolé, j'étais occupé.
Bon, ok, ça n’est pas tout à fait vrai. Aujourd’hui les clients se font rares. Mais je ne veux pas qu’il croie que je passe mon temps devant l’ordinateur, alors je simule une activité extérieure. Lui semble s’en foutre éperdument.
L : C'est pas grave. Notre dernière conversation remonte à Pâques, et c'était notre première. Julian : En effet... L : Que peux-tu me dire sur Nathan ? Julian : Pas grand chose, j'en ai peur.
Qu’est-ce qui me prend ? Pourquoi je suis si froid avec lui ?
L : Et plus précisément ? Julian : Je ne sais pas dans quelle mesure tu le connais, et je ne sais donc pas si ce que je te dirai te sera déjà connu ou non.
Non, ça ne me ressemble pas. Je ne suis pas comme ça. Merde Julian, pourquoi toute cette glace ?
L : Fais comme si je ne le connaissais pas du tout.
Alors c’est ça, hein l’Efta, tu es un bon comédien… Avec toi, on « fait comme si », on s’invente. Je n’ai pas confiance en toi. Je ne te sens pas. Tout ça est un piège, depuis ta façon horripilante de dire « yep » en début de conversation, comme si de rien n’était, alors que nous n’avons pas parlé depuis des mois, jusqu’à cette arrogance qui déborde de chacune de tes phrases et me prouve combien tu es faux. Tout ces mensonges me déstabilisent. Julian : Tu es qui ?
Et forcément, il ne répond pas. Me voilà seul devant mon écran, seul avec moi même et l’image virtuelle qu’il me renvoie, de lui, de moi, de nous, de deux êtres qui n’ont aucune preuve tangible de leur existence réciproque.
Julian : Tu es là ? L : Oui. Nathan ne t'a-t-il pas dit qui j'étais ? Julian : Non, justement. L : Tu habites où ? Julian : A Dijon. Et toi ? L : A Tours. Plus ou moins. Julian : Plus ou moins ? L : Juste à côté. L : Où Nathan habite-t-il ? Julian : A Paris. Il m’a hébergé chez lui l’été dernier.
Je me souviens. Il y a un an, j’étais chez lui… Bientôt, je rencontrerais Gautier… Des clients poussent la porte du bar.
Julian : J’ai des clients, désolé, je dois y aller. L : D'accord. A plus tard alors, je vais peut-être me connecter plus souvent que ces derniers temps.
J’ignore à quoi rime ce simulacre, cet artifice de conversation banale. Ni toi ni moi n’appartenons à ces coutumes, l’Efta, pas vrai ? Ton pseudonyme, c’est un masque, hein ? Une barrière entre toi et le monde. Finalement, peut être que je t’imagine plus semblable à moi que je ne le pensais. A moins que ce ne soit la promiscuité, l'immonde promiscuité. Elle me fait devenir un peu de toi. | |
|