Fragment #72 – Couleur désir

13h49. Je suis en avance. La place Bossuet est comme à toute heure lieu de croisement de maintes voitures, quelques bus et de nombreux vélos. Particuliers et Vélodis ne se mélangent pas sur les bornes de stationnement mais se croisent volontiers dans les rues. Au grand dam des automobilistes qui n'en peuvent plus de ces deux-roues irrespectueux du code de la route. Moi je le connais quasiment par cœur ce fameux code. Je regarde s'insulter deux conducteurs pour éviter de regarder ma montre. Soudain je la reconnais. Je reconnais ses yeux de loin. Elle vient de la place Emile Zola, elle porte un slim et un petit manteau court. Elle ne doit pas mesurer plus d'1m60 soit vingt-cinq centimètres de moins que moi. Ses petits pas rapides l'emmènent promptement dans ma direction. Melissa. Ses cheveux longs et ondulés volent et virevoltent autour de son visage fin à cause du vent. Elle m'a sans doute reconnu car elle s'approche de plus en plus. De plus en plus près. Et mon cœur qui bat de plus en plus vite. Elle est belle, et quand elle me tend sa joue, je respire en me baissant le parfum ambré de ses cheveux. Ils sentent le musc et les îles. Elle veut s'excuser d'être en retard mais je lui pardonne aussitôt en disant que je l'étais aussi. Nous cherchons un endroit pour boire un café comme convenu. Je ne suis pas déçu. C'est encore mieux que je n'avais pu l'imaginer. Même si la commande s'est faite par Internet, je n'ai pas été trompé sur la marchandise. Les gens se tournent sur elle, et plutôt que jaloux je suis fier de me promener à ses côtés. Melissa me propose de nous poser au Quentin où elle a ses habitudes. Je ne peux qu'accepter. Elle va s'installer à l'intérieur. Apparemment elle ne fume pas. En fait je ne la connais pas du tout, nous avons discuté depuis deux semaines de tout et je ne sais rien d'elle. La rencontre virtuelle a fait place au réel. Mais cette réalité a tout oublié, ou plutôt elle ne nous connaît pas ensemble et nous devons tout lui apprendre. Tout nous réapprendre. Simplement pour commencer à se connaître réellement.
Les premières minutes sont plutôt difficiles. Qui commence à dire quoi? Comment entamer la discussion? C'est elle qui rompt la glace, ses lèvres brillantes formules des mots que je dois lui faire répéter pour les écouter avec les oreilles plutôt qu'avec les yeux. Elle me demande de lui parler des pompiers. C'est là que je dois lui montrer que c'est vrai. Que je suis vrai. Que foxfire89 disait vrai. Il n'a pas menti. Je me sens à l'aise en parlant des pompiers, je connais très bien ce domaine. Et ça me rassure. J'en garde sous le pied au cas où et lui demande de me parler à son tour de ses activités de danseuse. Les premiers mots qu'elle dit ensuite confirment tout ce qu'elle m'avait déjà conté. Alors je n'ai pas besoin de la suite je me contente de la lécher du regard, d'écouter son souffle par-dessous ses paroles, d'imaginer ma main tenant la sienne. Tout est vrai, et un gros bloc de vrai vient de me tomber dessus. Il fait déjà plus chaud en dedans et mon cœur qui s'affolait toujours depuis que j'ai senti ses lèvres sur mes joues se calme enfin. L'après-midi passe très vite. Elle doit reprendre le bus avant 18h. Je l'invite, me la jouant galant homme, et lui tiens la porte continuant mon manège. Ensuite je la raccompagne rue de la Liberté. Au dernier moment elle me demande mon numéro de téléphone. Où avais-je la tête, j'aurais du le faire avant. Que je suis bête. En même temps c'est signe qu'elle a envie de me revoir. Je m'en réjouis intérieurement et lui dicte les dix chiffres d'une voix que je force au naturel. Elle monte dans la liane 5 direction le campus. Je la vois me sourire en s'éloignant.
Je remonte alors place Darcy pour attendre mon carrosse. Je suis heureux. J'ai hâte de la revoir.