Altaïr
| Sujet: Fragment #211 - La couleur des arbres 11.04.08 23:41 | |
| Dimanche 22 avril 2007 à Dijon Tourne, tourne Terre, petite planète bleutée. C’est ta gigantesque masse porteuse de vie que j’enfonce dans l’enveloppe de papier, ce ridicule et vain message porteur d’espoir, comme une bouteille qu’on lance à la mer. Alors bien sûr, Madame Voynet, je sais que vous ne « relèverez » pas le pays. Mais vous serez aujourd’hui, je le veux, mon ambassadrice en faveur de la couleur des arbres. J’ai beaucoup réfléchi, vous savez. Je ne veux pas d’un pays qui victimise le petit peuple et lui instille la peur et la haine en son sang. Pourtant tu le crains, lui, l’homme qui invoque la sécurité et la répression, pas vrai ? Je ne veux pas de ces prisons, de ces polices, de ces rafles. Je ne veux pas de cette France profonde, machiste et xénophobe, homophobe et raciste, de ce communautarisme ambiant. Mais membre du Clan, tu t’y complaisais, n’est-ce pas ? Et non, je ne veux pas de cette alternative mitigée qui cherche à nous rassembler, sous couvert d'aigres valeurs catholiques. On la voit, ton alliance à la main gauche, sur l’affichette de ta campagne. Mais cette gentillesse niaise, je n’en veux pas non plus. Je refuse, Monsieur Bayrou, qu’on me rallie à ces gens qui haïssent. Tu ne les hais pas, toi ? Quant à vous Madame Royal, j’aime vos valeurs et vous respecte, quand bien même les médias auront tout fait pour vous discréditer, en appuyant sur la moindre de vos maladresses et de vos erreurs. Car enfin, un Président peut-être humain, mais vous, Présidente, il vous faudrait être une déesse… Comment ? Il paraît que l’un des enjeux de cette campagne est la mise en place effective de l’égalité hommes-femmes ! Parce que ce n’est pas encore en place ?! Mais quel est donc ce monde attardé, qui traîne à donner aux couples de même sexe le droit de se marier et d’adopter des enfants ? J’ai honte de ce monde qui est le mien, et pour espérer le rendre un brin meilleur, je vote pour le parti écologiste. Oh je sais, il faudrait voter utile au premier tour, pour contrer la menace de Le Pen et de Sarkozy. Mais j’assume mon choix aujourd’hui. Bien sûr, Dominique Voynet ne sera pas élue. Le voudrait-elle seulement ? A travers elle, cependant, et tous ceux qui la soutiennent, la France ne pourra pas ignorer son message. Le fera-t-elle ? Je glisse l’enveloppe dans l’urne. A voté.
Louis a sorti une télévision de sa cabine. Je ressers un verre de whisky au vieux Jack, sous les yeux sulfureux de Géraldine, qui souffle dans ma direction la fumée d’une longue cigarette tenue en équilibre entre ses doigts. La vieille Léonie, de son côté, fait semblant de lire son habituel livre d’anglais, mais je sais qu’elle guette - la télévision où l’attitude de Géraldine à l’égard de Jack, je ne saurais le dire. Michelle entre avec un panier débordant de cookies, tenu sur son bras frêle et maigre, et tout à coup je me sens un peu perdu, au milieu de ces vieux. Les quatre joueurs de carte sont là, mais le valet de pique a délaissé le jeu pour venir regarder le résultat tant attendu. Son visage cerné de violet annonce le crépuscule des jours à venir. « Vous saviez, dit-il avec un morne cynisme, que le slogan de Sarkozy, c’était la devise de tous les dirigeants des grands régimes totalitaires qui ont traversé le 20e siècle ? Avec eux, tout devenait possible... » Soudain les visages, sur l’écran, se transforment. La peur dans mes poumons, au creux des bronches. Pense à la couleur des arbres. Je sens mon souffle, mon souffle qui s’arrête. | |
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