Alsciaukat
| Sujet: Fragment #20 - Mauvais créneau 12.04.08 16:46 | |
| Mardi 3 octobre 2006 à Tours Je bâille. Michael me jette un regard en coin. Pourquoi s’est-il remis à côté de moi, celui-là ? Il me laissait seul, en allemand, ces dernières semaines, ayant, je le croyais, compris que je ne voulais pas de lui. Et le voilà qui, alors même que devant nous trône une table libre, se remet à mon côté.
Il n’est pas très dynamique. Tant mieux. Pas de mouvements brusques, pas de gestes excessifs ; il ne participe pas, ne fait pas de bruit. Un corps inerte qui prend de la place sur ma table. Un poids mort. J’ai envie de le pousser, pour voir s’il tombe à terre. Je me retiens. Un sourire fleurit sur mes lèvres tandis que je l’imagine s’écrasant au sol. La prof saute sur l’occasion pour m’interpeller : « Léopold, tu nous fais la quatre, s’il te plaît ? » Je lui lance un regard froid, mais elle ne perd pas sa bonne humeur. Lentement, sans qu’elle ne me quitte des yeux, j’abaisse mon regard vers ma feuille et lit en détachant les mots. « Wenn ich es gewusst hätte, hätte ich nicht das gekauft. - Danke schön », qu’elle me dit. Je retombe dans mon silence attentif. Je crois que cette prof m’aime bien. Elle nous donne quelques devoirs supplémentaires pour jeudi, et la sonnerie retentit, marquant la fin du cours. Je me lève, en même temps que Michael. Je grogne sans même faire exprès en lui jetant un regard entre la haine et le dégoût, qu’il aperçoit, l’arrêtant dans son mouvement. Je fais comme si de rien n’était, afin qu’il se demande si vraiment il a lu ce qu’il croit dans mes yeux ou non, et sort de la salle, le laissant sur place. Comme nous sommes sortis très peu de temps après la fin du cours, il n’y a pas trop de monde au passage du self, et je n’attends quasiment pas. Je prends des carottes râpées en entrée, puis prends quelques tranches de pain, deux yaourts, un fromage et un fruit, puis un plat principal. J’agrémente le tout d’une serviette, m’arrête au niveau des sauces pour en remplir un quart de mon assiette. C’est maintenant que la véritable épreuve commence. Trouver une table libre. Je déteste manger à ce créneau horaire, tout est pris, et de grappes d’élèves sont immobilisées un peu partout, guettant comme des vautours le moindre signe indiquant que des gens installés ne vont pas tarder à se lever. Finalement j’avise une table où sont installées trois personnes qui ont l’air d’avoir bientôt fini. Je m’installe parmi elles. Elles me jettent un regard étonné, puis se mettent à pouffer en se jetant des regards complices, dont je n’ai cure. Je me mets à manger. Et puis je le sens. Cet insecte qui gratte, cette petite irritation, ce picotement désagréable qui s’insinue dans mon cou, sur mes tempes. Je tourne la tête, pour croiser le regard de Marie, qui est en train de manger sur une table à ma gauche. A côté d’elle, Alexandre me regarde, l’air hagard. Ce n’est pas ses yeux à lui qui me font cette sensation ; les siens pourraient me passer à travers sans que je m’en rende compte. C’est elle, elle avait son regard braqué sur moi il y a quelques secondes encore, j’en suis sûr. Elle me jette un coup d’œil rapide, interrompu aussitôt qu’elle se rend compte que je l’observe. Je me lève pour aller chercher une autre table. | |
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