Alioth
| Sujet: Fragment #5 – Fleur fanée 12.04.08 17:26 | |
| Samedi 12 avril 2008 à Paris Une mousmé qui ne doit pas avoir atteint l’âge de la majorité pointe son nez devant moi alors que j’étais perdu dans les méandres de mes pensées. Elle porte un maillot rose avec des hiéroglyphes tout plein sur lesquels on a balancé quelques paillettes. Le genre de t-shirt à peine voyant quoi. J’aimerais la regarder droit dans les yeux quand elle me parle, mais elle s’efforce de me montrer qu’elle a déjà de gros nibards, malgré son âge peu avancé, et que tout ce qu’elle dit a peut-être moins d’importance que ses grandes inspirations provocatrices. J’ai envie de lui dire de cacher tout ce matos, ça ne m’intéresse pas, mais elle me demande avec un large sourire qu’elle a volé dans une publicité pour dentifrice blanchissant si je n’ai pas une clope. J’ai des tas de clopes, mais je n’ai pas envie de lui en filer. Je surprends son regard s’attarder sur mon torse, mes épaules, mon entre-jambe. Tu veux une clope ou une pipe ? Elle sursaute. Pardon ? Plus de sourire. Plus de forte inspiration provocatrice. La petite se cache maintenant. Tu veux une clope ou une pipe ? Ca ne va pas la tête ? Elle s’enfuit. Je la regarde courir. Et je ris. Je sors une cigarette et l’allume.
Il fait beau et je dois être beau aussi, car on me cesse de me regarder. Je suis dans le Marais. Ici tout le monde te regarde dès que tu es un peu charmant. D’aucuns passent près de moi, me touchent et me demandent qu’est-ce que tu fais-là, beau gosse. Je hausse les épaules et prends une autre bouffée de fumée. Je ne vais pas mentir : ça m’excite tout ça. Il me serait facile de me perdre avec quelques-uns de ceux-là. Je l’ai déjà fait des centaines de fois. J'ai couché avec plein de gens. J'ai couché avec plein de gens un à un et parfois en même temps. J'ai couché avec des filles, avec des garçons, avec les deux en même temps. J'ai baisé dans un lit, dans ton lit, dans son lit, dans un champ, dans l'eau, dans un ascenseur, sur le rebord du lavabo, dans une impasse, au milieu de poubelles, sur la plage, dans une voiture, à jeun, drogué, avec du Poppers, plusieurs fois d'affilée. J'ai vu des petites chattes, des grosses chattes, des puantes, des flippantes, j'ai arrêté les chattes, j'ai continué avec les seins, un peu, puis plus du tout, j'ai vu des bites noires, jaunes, caramel, blanches, grandes, larges, tordues, molles, douces, poilues, puantes, suintantes, sèches. J'ai pris souvent mon pied, je me suis rarement soucié de l'autre, j'ai enchaîné, déchaîné, fait crier, crié. D’aussi loin que je me souvienne, certains actes remontent aux douches en 6e. J’avais quoi ? Quinze ans de moins ? Paulo Coelho pense que tout être humain a un profil sexuel et qu’il doit l’exercer sans culpabilité : je ne me suis jamais senti coupable. Mais un jour, les années ont passé et l’on se lève avec le sentiment de ne pas avoir su grandir. Peut-être qu’on prend peur alors ; le reflet dans le miroir ne nous dit plus rien qui vaille, on ne se reconnaît plus vraiment, même si l’on perçoit encore que l’on est beau et qu’il est encore possible de faire quelque chose de sa vie. Rien n’est perdu. Briser les chaînes n’est pourtant pas si facile quand on a vécu si longtemps enfermé dans des certitudes idiotes. Quelqu’un disait que la fleur se fane pour mieux renaître. C’est joli, les mots.
Je m’installe à la terrasse d’un café. Ils ont mis de la fausse herbe sur les tables. C’est collant et désagréable. Et ringard. Je ne peux même pas dire kitch. Je demande des serviettes en papier et je les étale sur la table, histoire de pouvoir poser mon carnet de notes.
A peine une semaine que je suis de retour sur Paris. Paris me rappelle Grégoire et rien d’autre. La rue Valette m’a soulevé le cœur. De voir le Panthéon vers le haut, ça m’a rappelé cette nuit où j’ai dormi devant la porte de chez Grégoire. Ce soir où il n’était déjà plus. Je me rappelle les larmes. Je me suis toujours demandé si j’avais senti qu’il partait, à ce moment-là. Je rêve encore de bulles et d’eau salée. Sinon, rien. La Floride me manque. Peut-être pour de mauvaises raisons. La coke est dans ma poche. J’en ai très envie maintenant. Mais il n’est même pas dix-sept heures.
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Alsciaukat
| Sujet: :) 23.04.08 15:34 | |
| Eh beh... Bien triste vie :/ L'a pas l'air d'avoir vécu des choses faciles, et il s'en sort avec une méthode assez particulière... C'est un peu déprimant :/ | |
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Aldébaran
| Sujet: Re: Fragment #5 – Fleur fanée 28.05.08 18:55 | |
| Ce texte est fantastique! J'adore comme il est construit. Et l'enchainement des positions donne un rythmique très intéressante! Bravo! | |
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| Sujet: Re: Fragment #5 – Fleur fanée | |
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