Mintaka
| Sujet: Fragment #85 - Pour te connaître mieux 12.04.08 17:41 | |
| Jeudi 11 octobre 2007 à Dijon Je voulais être différente, ne pas rentrer dans ces clichés débiles que déblatèrent les jeunes Mamans à l’arrivée de leur premier enfant… Et pourtant, je suis pareil, en pire ! Je suis épuisée, bien sûr. Mais pas par ses pleurs ou ses colères, non. Je suis épuisée de ne pas trouver le sommeil à trop la regarder dormir ! J’ai l’impression de la voir changer de jours en jours, de la voir grandir, ouvrir de plus en plus grand ses yeux… J’essaye de la prendre sur moi dès que je peux, pour apprendre à découvrir chaque parcelle de son tout petit corps. Ses petites jambes de grenouille, ses minuscules mains qui cherchent parfois les miennes. Nous n’avons que la nuit pour nous découvrir, quand toutes les infirmières et toute la famille sont parties. Je peux enfin l’avoir pour moi, et plonger mon regard dans ses petits yeux noirs qui ne demandent déjà qu’à dévorer le monde. J’ai du mal à me dire qu’elle est ma fille, quand je peux à peine la prendre dans mes bras vingt minutes par jour pour l’allaiter ! Il faut voir mes parents, et puis mes grands-parents aussi ! Tous aussi gaga les uns que les autres, à babiller autour du berceau. Kokhavah est déjà couverte de cadeaux, de peluches, de doudous en tous genres. Et puis les filles sont venues aussi, bien sûr. Elles ont apporté une superbe petite robe pour ma fille, -à qui j’ai présenté toutes ses supers tatas- et pour moi, de quoi me coiffer, m’habiller un peu, me maquiller, et lire tous les derniers potins du moment ! Heureusement que je les ai près de moi, elles sont ma petite bouffée d’oxygène ! J’étouffe un peu dans cette minuscule chambre d’hôpital toujours trop pleine. Mais je ne peux pas leur en vouloir, ils ont l’air si heureux tous. Pour moi, pour nous. Pour la nouvelle aventure qui nous attend… Tous, sauf Julian. Il a l’air toujours tellement perdu, comme un enfant se penchant au chevet de sa propre fille. Il la détaille, la regarde comme une petite bête curieuse. Il essaye de faire connaissance, mais je sens bien que c’est trop, que c’est dur. Il n’a pas eu cette petite chose neuf mois contre son cœur pour bien assimiler sa présence comme moi. Il est dépassé bien sûr, et je le comprends. Il ne dit rien, mais c’est déjà beaucoup pour moi qu’il soit là, malgré les regards pas toujours très encourageants de ma Maman. Je suis fière de penser que je pourrai dire à Kokhavah que son Papa était là, qu’il a attendu l’angoisse au ventre comme tous les autres Papas. Qu’il l’a vu, qu’il l’a aimée, ne serait-ce que l’espace de quelques jours. Quelques semaines peut-être. « Lola, elle est née quel jour, la petite ?! - Le 9. Un peu après minuit. Pourquoi ? » Le 9 Octobre 2006. Jour de notre rencontre. Bien sûr que j’avais fait le rapprochement Julian. On n’oublie pas ce genre de dates… Et l’anniversaire de notre fille ne fera que me rappeler tous les ans les moments que j’ai perdus. Mais je ferai face, pour elle. Parce qu’elle le mérite…
En fin d’après-midi, ma chambre commence enfin à se vider. Je jubile à l’idée de pouvoir enfin me retrouver seule à seule avec ma petite merveille. Maman m’embrasse sur le front, puis embrasse sa petite-fille, et nous laisse en promettant de venir nous revoir demain. La porte se referme. Le silence s’installe. Et je me rue sur la petite couveuse de plastique pour en extraire le plus beau des trésors. A peine l’ai-je posée contre mon ventre que trois petits coups retentissent à la porte. « Quoi encore ??! » La porte s’ouvre doucement et un jeune homme brun, au regard transperçant de douceur passe la tête par l’entrebâillement. « Heu, je suis désolé… Je suis interne ici, et heu… enfin on m’a demandé de venir voir comment vous alliez, vous et votre petite… mais heu, enfin, je repasserai ! - Non, attendez ! Je suis désolée d’avoir été un peu sèche, mais j’ai du monde toute la journée dans la chambre, donc les rares moments de tranquillité que je peux partager avec ma fille sont sacrés ! - Oui bien sur, je comprends. Elle est magnifique d’ailleurs ! Elle vous ressemble c’est dingue… Enfin sans vouloir vexer le Papa bien sur ! - Heu, il n’y a pas vraiment de Papa… Enfin si, mais disons que nous ne sommes plus ensemble. Et je ne sais même pas pourquoi je vous raconte ça ! Ca ne sera pas psychologie votre spécialité plus tard ?! - Heu non… Je me dirige plutôt vers la pédiatrie, d’où ma présence ici d’ailleurs ! - Ah donc je suis votre cobaye c’est ça ?! - … - Ne faites pas cette tête là enfin, je plaisantais ! - Pff oui pardon, vous devez me prendre pour un gros naze ! Mais c’est mon premier jour ici, et j’ai encore la boule de stress au ventre ! - Je connais ça… Pas de soucis ! - Je crois que votre petit ange s’est rendormi, je vais y aller, je ne voudrais pas la réveiller. Je repasserai vous voir demain Mademoiselle. - Bon, puisque nous somme amenés à nous revoir, moi c’est Lola. Et plus de vouvoiement s’il te plait, on doit avoir sensiblement le même âge ! - Ca marche Lola, moi c’est Théo. Enchanté ! - A demain alors, bon courage pour ta garde… - Merci, bonne nuit. » Il referme la porte derrière lui avec autant de douceur que lorsqu’il l’a ouverte. Kokhavah baille de toute sa petite bouche. Elle est épuisée. Moi aussi. Je la pose à côté de moi sur le lit, tout contre mon cœur, et m’endort bercée par le rythme de sa respiration… | |
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