Fragment #40 - Arthur

Passage encrassé entre rêve et réalité. Il est quatorze heure et neuf minutes. La nuit a été éprouvante, et les affres de la fatigue épuisent mon corps et mon esprit affaiblis. Gueule de bois. Gautier et moi avons abusé de la bière et du whisky, encore une fois. Ce soir, le 14 Juillet nous replongera une fois encore dans l'éthylisme de la nuit. J’attrape le carnet et le crayon. Mes idées, soigneusement cultivées et entretenues, arrosées à l’air chargé de soupirs inspirateurs de Paris, taillées avec attention par l’œil impitoyablement correcteur de Nathan, ont germé et croissent désormais avec vigueur. C’est l’histoire d’un type…
Arthur. A peine quatorze ans (j’ai choisi cet âge un peu au hasard, en jetant un œil sur l’horloge à mon réveil). Un pré-adolescent arrogant, à la voix éraillée. Petit, menu. Des cheveux châtains mi-long qui bouclent sur sa tête, faussement ébouriffés, et dissimulent des yeux dont les cils trop épais lui donnent un air un peu larmoyant, et rendent son regard indiscernable. Visage fin d’enfant, peau sans la moindre aspérité, fraîche et juvénile. Il n’écoute que lui, n’en fait qu’à sa tête. Caractère pétillant, voire explosif. Un peu tête à claque sur les bords.
J’ignore d’où m’est venu ce personnage. Je le veux central au cœur de mon histoire, mais pas unique pour autant. Il y en aura d'autres, d'autres tabernacles gravitant autour du noyau, petits électrons de conscience.Tout se déroule en un lieu quasi onirique et perdu, un jardin d’Eden isolé en pleine campagne, dans une vieille ferme reforgée en colonie de vacances. Paradis des enfants loin du monde des adultes, du béton urbain, de la laideur. Je me remémore mes propres souvenirs. Comment s’appelait cet endroit déjà ? Souvenirs couleurs de paille.
Arthur est un peu borné, un peu prétentieux. Arthur est un peu rock, un peu punk aussi. Il ne sait pas très bien ce que ça veut dire, mais il l’est, pour sûr. D’ailleurs, tous ses potes le sont aussi. Arthur est amoureux, mais je n’ai pas encore délimité les contours de l’élue de son cœur adolescent et sujet à une fourbe vivacité et à la fragile matière non encore aguerrie qui le constitue. Il apprendra vite à coaguler (peut-être transposé-je ici mes propres cicatrices).
Un été à la campagne. Un été pour souffrir et vivre plus fort encore. Un été pour perdre des illusions et en acquérir de nouvelles, comme les filles perdent leur sang et gagnent en échange le doux titre de femmes. Mille éclats de verre fichés dans une peau blanche d’ange. Le sang des hommes est incolore et immatériel. La douleur, elle, est vivace.
Je ne voulais pas que ça soit si noir. Je n’osais pas. A force de critique, Nathan m’a amené a extirper l’obscurité de mon moi abyssal. Je n’osais pas. Peur que vous ne comprendriez pas. Peur de vous effrayer. Mais les mêmes démons vous (nous) hantent. Il y a de la lumières dans nos ombres. Vous me comprenez. Vous n’aurez pas peur. Laissez vous guider.