Alsciaukat
| Sujet: Fragment #48 - Jérôme 12.04.08 19:53 | |
| Samedi 6 janvier 2007 à Saint Avertin J’observe mon père, assis dans le divan, ni droit ni trop avachi, le visage éclairé par les lumières dansantes de la télévision. Il a dû être vraiment beau. Il est encore assez puissant, mais je ne sais pas d’où vient cette conservation, pour le peu d’activités que je lui connais. Des rides parcourent son visage, signes d’une vieillesse prématurée, et au fond de son regard brille cette étincelle que je hais, ce petit fléchissement des sourcils qui lui donne une expression presque permanente de chien battu, même quand il rit. Quelle faiblesse, quelle incapacité à se ressaisir, à aller de l’avant… Il est mort avant l’âge, tout est éteint en lui. Son sourire fend le cœur au lieu de réchauffer. Devant le poste, il se laisse aller ; il ne fait plus bonne figure comme devant ses collègues ou mes grands-parents. Le téléfilm un peu triste lui donne l’occasion de laisser couler une larme qu’il essuie aussitôt. Il vérifie que je n’ai rien vu, pour finalement se rendre compte que ça ne m’a pas échappé. Il a un petit rire qui s’approche plus de la manifestation d’hystérie dépressive que de celle de joie, penche la tête sur le côté, l’air de dire « Hé oui, ce n’est qu’un téléfilm, mais ça m’a fait pleurer un peu, c’est bête, hein ? », et tourne à nouveau les yeux vers l’écran, pour se replonger dans l’histoire et surtout ne pas avoir à soutenir mon regard. Pour ma part je n’ai pas envie de suivre cette intrigue ridicule et stéréotypée. Je pense à Marie. Et à Alexandre, du coup. Ils m’étonnent. Ils sont étranges. J’aimerais bien être avec eux, plutôt que perdu dans l’ambiance morose du salon. Je me lève. « Bonne nuit, Jérôme. - Bonne nuit Léo. Arrête de m’appeler Jérôme. » Je ne réponds pas. Je monte les escaliers, bifurque à droite en haut pour pénétrer dans la salle de bain. Je me mets face au miroir, auquel j’adresse une grimace habituelle. Stupide reflet. Petit ange, petit blondinet. Dentifrice. Lavage. Rinçage. Efficacité. Je regagne ma chambre, me dévêts pour enfiler ma tenue de nuit, simple caleçon. Je saisis mon livre de chevet, Un amour de Swann, que je relis pour la troisième fois pour le français. Bien écrit, assez agréable à lire, bien qu’au final un peu vain… de quoi remplir ma soirée. | |
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