Altaïr
| Sujet: Fragment #42 - Le Secret de Gautier 09.04.08 17:03 | |
| Mardi 1 août 2006 entre Paris et le Kremlin Bicêtre Je dois retrouver Gautier pour une soirée décadente et enivrée. Le haut de ma chemise entrouvert, je découvre mon torse huilé de sueur au monde nocturne. Un climat de toundra s’est développé entre Nathan et moi et givre son appartement, tant et si bien que je m’arrange pour l’éviter autant que possible. J’en viens à me demander si il n’est pas tant de retourner à Dijon, ce qui me plonge dans une sombre mélancolie. Enfin voilà Gautier. Un jeune homme extraverti et pétillant, yeux verts et cheveux bruns dressés à l’aide de généreuses quantités de gel capillaire, toujours prêt à m’embarquer dans ces univers glauques et liquoreux dont il connaît les moindres secrets. Le rire aux lèvres, même lorsqu’il me regarde vomir dans le caniveau après un excès de bouteilles. Ce soir, le sourire est mitigé. Une bière. Tonalité sismique de basses enragées. Lumières bleues flashs. Gautier fuit mon regard ; il a quelque chose à me dire. Son cœur est entre les mains d’un être qui, depuis quelques temps, lui est apparu comme bien trop cher à ses yeux pour pouvoir garder le silence. Je me surprend à rire. Gautier amoureux, c’est assez psychédélique. La crispation de son sourire, en réponse, me refroidit aussitôt. Je suis cet être. Me revoilà dans l’appartement de Nathan. C’est la première fois depuis longtemps que je rentre à jeun chez lui. Je m’installe sur le canapé, sans rien dire (faudra-t-il vraiment que je parte bientôt ?), et me laisse bercer par le cliquetis de ses doigts sur le clavier. Et je ne cesse de revoir, imprimé sous mes yeux, le visage confus de Gautier, ce Gautier rieur et léger, soudain coulé dans une gravité de plomb, et désespérément amoureux de moi. Et je ne comprends pas. Nathan part se coucher. Il est tard. Les heures passent, et je demeure figé dans un silence d’incompréhension, tandis que dans mon esprit se rejoue cent fois cette scène inattendue, ce rebondissement non anticipé qui me fait me sentir bête, terriblement bête. Je n’ai rien vu, j’ai été aveugle. On côtoie des gens sans les voir, on se sent seul alors qu’on ne l’est pas. Nos solitudes forment une chaîne, nos phalanges exercent une pression fraternelle sur celles de nos voisins. Je me sens bête.
Il est tard. Je me redresse, allume une lampe qui répand une lumière jaunie par l’abat-jour dans l’appartement. Mon crayon est prêt, mon carnet ouvert. Le troisième personnage se dessine. Un dernier personnage, plus effacé que les deux autres. Un personnage fuyant, trop jeune pour regarder les autres. Je n’arrive pas à lui trouver un prénom. Rien qui lui corresponde. Trop blanc, trop transparent. Arthur, Bleuette, et lui. Je commence à décrire le passage paroxysmique de l’été, le dernier soir avant les adieux. Le temps des larmes qui montent. Des vies qui tanguent, vapeurs éthyliques, à la lueur du néon clignotant autour duquel volette et danse un papillon de nuit, au rythme langoureux des slows, dont les voix suppliantes et parfumées de grâce émanent de la fête, filtrées à travers la pierre. Au dehors, des sons étouffés, et l’amour qui défile sous des regards d’enfant, blessant au passage leur petit cœur fragile, giflant leurs joues roses, acérant leurs yeux candides sur un monde plein de fumées. La petite Bleuette regarde Arthur, qui lui même regarde Lui. Lui ne regarde personne, mais comme les deux autres, il voit passer devant lui la valse de François et Léopoldine, si beaux, dans les bras l’un de l’autre, si parfaitement sculptés l’un pour l’autre, tant et si bien que les larmes coulent amères sur les joues roses, de leur cœur fragile jusqu’à leurs yeux candides. Et la valse jette aux regards de tous la beauté sucrée et charmante de deux adolescents qui tourbillonnent.
Je suis tellement désolé Gautier.
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