Alsciaukat
| Sujet: Fragment #60 - La couleur du fond de tes yeux 12.04.08 20:10 | |
| Mardi 13 mars 2007 à Tours Les cours sont finis. Nous sommes dehors, dans cette phase transitoire à laquelle nous sommes habitués, chaque soir, entre la sortie du lycée et la séparation pour que chacun retourne chez soi. Éparpillés en petits cercles désordonnés aux alentours des portes, sur le trottoir, les discussions à demi couvertes par le vrombissement des voitures qui passent juste à côté. Je fixe Marie. Elle ne s’en rend pas compte, elle regarde ailleurs avec attention. Je fixe ses yeux. Ses yeux intelligents. Pas vraiment perçants, ni foudroyants. S’y mêlent simplement une intelligence calme et une douceur un peu mélancolique. Il y a tant à lire dans les yeux des gens. Peu ont un aussi beau regard qu’elle. Je discerne au fond de ses prunelles une sorte d’étrange étincelle, d’un orange clair attiédi par le marron des pupilles. Cette étoile brillante invite à s’y reposer, à se laisser aller et à parler, comme une épaule réconfortante. Tout le contraire de ce dont j’ai besoin. Je suis la direction de ses yeux. Alexandre. C’est lui, qu’elle observe avec cette tendresse vaguement triste. Lui, qui me dévore, qui braque ses deux projecteurs d’un bleu glacial sur mon visage d’ange parjure. Il détourne la tête, incapable de supporter le pétrole qui coule sur mes joues vers les siennes. L’étincelle est plus ténue chez lui, vague pointe brillante du même bleu impersonnel que les pupilles, mêlée d’une touche d’un gris fade et déprimant. Il se dandine légèrement d’un pied sur l’autre, visiblement mal à l’aise. Je le laisse en paix. Mon regard croise alors celui de Jeanne. Elle me sourit. Le vide de ses yeux me frappent. Elle n’est pas laide, mais le vert clair qui se cache derrière ses lunettes n’abrite rien d’autre que deux cercles noirs, sans la moindre vie. Je lui retourne le sourire, et reprend l’observation de Marie. Elle est toujours obnubilée par Alexandre. Je me demande si les gens voient ce que je vois. Ont-ils conscience de ces étincelles ? Les inventé-je ? J’ai parfois réfléchi à cet étrange phénomène, sans jamais m’en ouvrir à personne. Cela me trompe rarement. Georges arrive. Du fond de ses prunelles jaillissent deux éclairs blancs, parfois obscurcis par des nuages, qui frappent et tentent de défaire les remparts que chacun se fabrique inconsciemment. Je résiste. Ses traits sont détendus, contrastant totalement avec cette volonté que je lui prête, d’abattre ainsi tout ce qui se dresse devant lui. Comme s’il voulait mettre les gens à nu pour mieux leur parler. C’est la seule conclusion à laquelle j’ai pu arriver jusque là. Il cesse finalement de vouloir m’attaquer, et adresse à son tour un sourire à Jeanne. Elle ne se rend compte de rien, et pourtant je le vois, il l’a déshabillée, et elle s’est laissée faire. Elle n’a pas l’air de s’en porter plus mal. On me donne un coup de coude. « Hein, Léo ? » Je n’ai rien suivi de la conversation depuis quelques minutes, la jugeant profondément inintéressante. « Oui, ça doit être ça, » lâché-je en riant. Accepté. Bon. « On y va ? » Acquiescements. Commence la translation vers le croisement de la rue. | |
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