Fragment #35 - Retrouvailles

« Ouais mais je ne suis pas sûre que la trêve va durer… »

J’émet un « Humm… » d’approbation pessimiste en poussant du pied le grand sac rouge qui est encore à moitié plein. La conversation de Charlotte est des plus intéressantes, si on suit un peu l’actualité géopolitique. Ce qui n’est pas mon cas.

C’est dingue, à part son sac de voyage qui traîne encore, toute sa chambre est parfaitement rangée. Cette fille n’est pas humaine.

« Tu m’as même pas ramené un petit british ?

- T’as pas besoin de ça, Sylvia… Tu dois avoir tout Dijon à tes pieds ! »

Je déteste quand on m’appelle par mon prénom. Je me relève en murmurant un « mouais… », puis vais me vautrer sur son lit, en face de la chaise de bureau sur laquelle elle est assise ; sur le ventre, tête posée sur les mains. Et si je lui parlais de Romain ? Après tout, je lui raconte beaucoup de choses, pourquoi pas ça ? En fait, j’ignore pourquoi, j’en suis incapable. Je n’ai pas envie de raconter ce mec, son étrange bizarrerie, et sa bizarre gentillesse. Plus tard, peut-être ?

« Finalement, tu es partie avec Francis ?

- Ouais, dans le Sud, quelques jours. C’était… (je repense à ce mec dont le sang me jaillissait dans la bouche) sympa. Vraiment. Farniente, soleil. »

Les trois mots magiques pour décrire des vacances que tu n’as pas envie de décrire : sympa, farniente, soleil. Les gens s’imaginent tout de suite un truc formidable, inintéressant et trop long à raconter en détails, alors ils arrêtent les questions.

« On fait quoi ce soir ? Ciné ? Et après… on sort je sais pas où ?

- Les autres sont rentrés ? J’ai pas eu de nouvelle…

- Je crois que Mathilde et Jérèm’ sont là, ouais… Et on peut appeler Flo et Ludivine, pour voir…

- Ok. Je te laisse les appeler ? Je rentre chez moi faire le ménage et je vous attend pour sept heures ?

- Ca marche ! »

Elle me raccompagne jusqu’à la porte, dépose deux baisers sur mes joues, et je m’éloigne. Ca fait longtemps que personne n’est venu chez moi, je me demande ce qui m’a pris de proposer ça… On va dire que j’en avais envie ! Mais… et si on fait trop de bruit ? Qu’on le gène ? Peut-être qu’il m’en voudra de ne pas l’avoir invité…

Trop tard pour reculer, et merde à la fin, on n’est pas marié, j’ai le droit d’inviter des amis à se saouler ! Il n’aura qu’à monter si ça le dérange ! Et s’il ne monte pas…

Tant pis pour lui.