Alsciaukat
| Sujet: Fragment #63 - Corbeaux 13.04.08 10:35 | |
| Mercredi 28 mars 2007 à Tours Marie me voit. Je suis installé à la deuxième des quatre places de la quatrième rangée de la salle, la première rangée surélevée. Il reste une place à côté de moi, à ma gauche, puisque Georges s'est assis à droite, et qu'à sa droite encore se trouve Jeanne. C'est la pause, mais nous ne bougeons pas encore. Mon voisin parle avec sa voisine à grand renfort d'éclats de rire, le professeur est parti chercher des papiers. Marie regarde ailleurs. Elle me dépasse sans me dire bonjour, s'installe deux rangs plus loin. J'hésite. Me lever pour aller la saluer ? Est-elle distraite, ou n'a-t-elle pas envie de me parler ce matin ? Je reste assis, prostré, laissant vagabonder mes pensées au gré des motifs entrelacés sur le tableau, vestiges d'une correction d'exercice. Alexandre s'assoit à côté de moi, m'oblige à lui serrer la main. Il a l'air enjoué, et me parle vite ; ses mots sont comme un tourbillon de bulles qui virevoltent autour de moi sans même m'effleurer, et éclatent finalement sur le sol. Le professeur revient, le cours recommence. Je songe au contrôle d'informatique qui m'attend cet après-midi. Je ne connais pas la salle. Je me tourne vers Georges pour lui demander, et constate qu'il regarde dehors. Je suis la direction, pour tomber sur trois corbeaux, posés sur le toit visible depuis la fenêtre de ce troisième étage. Trois oiseaux noirs, qui font résonner en moi l'envie d'écrire, curieuse envie qui de plus en plus souvent me saisit. Je sens cette sorte de fièvre s'élever, gonfler en mon sein, répandre dans mes veines son odeur d'abandon, et laisse tomber le cours pour m'y consacrer. Déjà dans un autre monde, je me tiens droit, le crayon à la main, la mine posée sur le papier. Et la magie opère.
Une échine tordue ébouriffée de plumes Et au bout en un pic, un long bec rocailleux, Qui supporte la pointe acérée de ses yeux, Deux cercles transparents qu'un feu blafard allume. Dans son dos, menaçantes, deux silhouettes sombres, Deux flèches repliées dirigées sur les cieux, Deux ailes de noirceur dont les sommets cagneux Projettent au sol un ange esquissé en leur ombre. Et ses pattes crochues labourent dans la pierre Des sillons incolores, blessures gravées, Qui quadrillent sans fin sa sinistre tanière. Ses semblables s'alignent en des bancs dépravés, Pénibles tâches grises aux faîtes des barrières Qui narguent les humains de leur plumage fier.
Réveil. J'ai écrit un sonnet. Ce n'est pas le premier, et je n'arrive pas à m'expliquer pourquoi j'en écris tant ces temps-ci. Georges est en train de le lire. Je ne l'empêche pas de finir, puisqu'il a déjà commencé. Je constate qu'un exercice a été corrigé en mon absence. « C'est vraiment pas mal, me chuchote-t-il. » Ne sachant pas vraiment comment réagir, je le remercie. Alexandre à côté, son attention attirée par la chose, essaie de lire à son tour, mais je range la feuille de brouillon dans mes affaires, pour prendre en note ce qui est inscrit au tableau. Dehors, les corbeaux s'envolent dans un croassement. | |
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