Altaïr
| Sujet: Fragment #46 - Nous les Dieux 09.04.08 17:14 | |
| Samedi 5 août 2006 à Paris Encore une nuit de folie avec Gautier. Réveil dur, la gueule de bois qui m’éclate le visage et l’embourbe de sommeil. Nous sommes le 5 Août 2006. Je suis allongé aux côtés d’un homme, dans un appartement parisien, loin de Dijon, de mon temple du sommeil. Ma vie prend des virages serrés. Je regarde droit devant moi. Sur combien de plafonds, combien de ciels de plâtre, nos yeux de plombs rivés décompteront les astres ? Mes propres mots me reviennent, effleurent mes lèvres et les franchissent dans un souffle. Gautier émerge lentement de ses rêves. Je frôle le bout de son pied. Le temps, lui, s’accélère. Face au miroir. Il est désormais trop facile de sourire. Les cheveux châtains qui coulent et ondulent sur ma nuque, la peau hâlée par l’été, les yeux acajou perçant mon reflet, la bouche rouge tendre, le nez droit et fin, des sourcils noirs qui rehaussent mon regard de dignité. Et ces boucles qui perlent sur mes tempes… Oui, mon sourire le crie, je suis beau, un véritable descendant des dieux antiques, perdu à l’orée du troisième millénaire. Au temps jadis, on vénérait les dieux, mais aujourd’hui nous sommes seuls, seuls dans un monde encrassés. Ces pensées qui fusent en moi me dégoûtent, et pourtant au fond de moi je sais que je vaux mieux que tout cette plèbe grouillante, ces misérables tabernacles de conscience. Je crache le dentifrice pour m’en débarrasser la bouche. Mes gencives saignent. Traînées écarlates sur mon menton et dans le lavabo. Je rince. J’expie. Gautier s’est levé et prépare un café. Je m’habille en silence. Dans la poche de mon jean, je retrouve un petit morceau de papier froissé. Avec curiosité – l’alcool et la nuit on effacé de ma mémoire l’instant au cours duquel ce mot s’est retrouvé dans ma poche – je le déplie et n’y trouve qu’une écriture brouillonne et illisible. La sueur a fait baver l’encre et noyé les chiffres du numéro qui s’y trouvait. Seules deux lettres se dessinent encore, légèrement inclinées. DJ. Je reste de marbre, incapable de me souvenir. Gautier m’apporte une tasse de café. « C’est quoi ? Le numéro de ton amant ? me demande-t-il avec un sourire. - T’es con. C’est juste un papier, dis-je en le rangeant fébrilement. - Pas la peine de t’exciter Julian, je déconnais. - Je manque de sommeil. On est obligé de sortir ce soir ? On peut pas rester tranquillement ici ? - Si tu veux, dit-il en passant ses bras autour de moi. » Son étreinte ne m’apporte aucun plaisir. C’est trop facile. Je suis assez beau pour séduire n’importe qui, homme ou femme. Si je venais à perdre Gautier, il me suffirait d’une soirée pour le remplacer. Comment alors s’attacher à lui ? Je suis désolé Gautier, tu me fascinais, satyre de la nuit, voyageur d’un monde qui m’était étranger. Mais tu as succombé à mes sortilèges et tu n’as plus de charme. Un souvenir heurte mon esprit. Veille au soir. Je viens d’emménager chez Gautier, une vie s’ouvre à moi. Je suis un homme nouveau, une fois encore. Je me sens libre. L’alcool coule à flot, je ne veux plus penser à Nathan. Tandis que Gautier danse avec un autre sur la piste, son corps se déhanchant au rythme mélancolique de Rune, je reste assis au comptoir et discute avec la serveuse qui m’apporte un nouveau verre. « Tu devrais faire attention, me dit-elle en désignant Gautier du regard. Les hommes de Paris sont volages. - Je lui fait confiance, réponds-je avec froideur à cette fille qui se mêle de ma vie sans autorisation. » Ellipse. La soirée s’achève. Gautier vomit non loin de là, tandis que les gens quittent la boîte de nuit. Le silence repeuple la rue. Derrière moi, le DJ s’allume une cigarette. L’espace d’une seconde, la flamme de son briquet éclaire son visage de dieu.
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