Alsciaukat
| Sujet: Fragment #97 - Le club des cinq 13.04.08 16:59 | |
| Vendredi 13 juillet 2007 à Tours Il y a toujours du monde, finalement, en ville. En semaine, en vacances, cela ne s’arrête jamais. Je sens l’odeur de transpiration de tous ces gens qui m’entourent, qui courent partout, pressés, aveugles, perdus dans une quête de non-sens. Et je sens que je n’ai même pas besoin de me demander ce qui me différencie d’eux, parce que je sais que je suis différent. C’est l’ordre des choses, et je n’ai pas l’espoir, ni l’envie de les changer. Que m’importe leur existence ? Qu’ils continuent à vivre leur vie partielle, leur ersatz d’activité, s’ils se croient heureux ainsi. Les portes de la Fnac ne coulissent pas devant moi, pour la simple mais néanmoins bonne raison qu’elles n’ont pas le temps de se fermer entre le passage de deux personnes. Je m’avance dans l’allée, ne regarde même pas ce qui trône au milieu de l’entrée. « Hé, Léo ! » Mh. Me retourner et partir est une solution. Non pas une fuite, mais une retraite stratégique, parce que j’ai tout sauf envie de lui parler. Mais il s’avance déjà vers moi. Georges me sert la main, un grand sourire éclairant son visage. « Bah alors, qu’est-ce que tu fais là ? - Je suis venu acheter les bouquins à lire pour l’an prochain. » Mon ton est glacial. Il ne se départit pas de sa bonne humeur. Quelle sorte de Dieu peut bien s’amuser à provoquer ce genre de coïncidences ?... Un qui a un sens de l’humour pour le moins étrange en tout cas. Bah, et puis, après tout, peut-être n’est-ce pas si terrible que ça. Je ne l’ai pas vu depuis deux semaines, et je ne le reverrai sans doute pas des vacances. Je laisse les traits de mon visage se radoucir un peu. « Ben pareil, tu vois. » Et là, c’est le moment où quelqu’un de normal dit : « Alors, les vacances ? » Mais je ne crois pas que Georges soit tout à fait normal. « Je te demande pas comment se passent tes vacances, je suis sûr que tu es bien occupé ! Moi c’est pareil, je profite du temps libre pour rattraper le retard que m’a fait prendre cette année dans mes projets, ainsi qu’avec mes amis du lycée. Tu sors un peu ? » Je ne réponds pas, parce que je vois bien qu’il se moque gentiment de moi. Je ne comprends toujours pas cette affection qu’il a l’air d’éprouver à mon encontre. Ce garçon est étrange, définitivement. Il se démarque de la foule, de tous ces gens au regard gris ; ses yeux débordent de vie, un fleuve éclatant s’en déverse avec puissance, inexorablement, recouvre tout sur son passage pour redonner au monde un peu de couleur. C’est mièvre, mais c’est comme ça que je vois les choses. « C’est marrant, Léo, ton regard, il… » Il ne finit pas sa phrase, et se retourne intrigué par la manière dont mon visage a du se fermer. Derrière lui se tiennent Marie, Alexandre, Jérôme et Jeanne. Les deux garçons ont chacun une canette à la main, qu’ils ont du acheter au vendeur qui se trouve près de l’escalier pour monter à la Fnac elle-même. « Tiens, voilà le reste de la troupe ! Regardez qui j’ai croisé. » Je sens la glace reprendre ses assauts contre moi, dure et coupante, m’inciser la chair, pénétrer mes membres déjà engourdis. La haine s’éveille, et j’aperçois dans les yeux de Marie le reflet de mon pétrole qui s’y déverse. Elle me salue timidement, d’un signe de tête, et Alexandre s’avance pour me serrer la main. Je le contourne, prends la direction de l’escalator. | |
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