Bételgeuse
| Sujet: Fragment #41 - L'Identité 13.04.08 17:09 | |
| Jeudi 24 août 2006 à Dijon D’un geste de la main, j’essuie la poussière qui s’est déposée sur la pile de livres qui traîne dans un coin de la pièce. « L’identité ». Un roman que l’on m’a conseillé, celui qui règne en maître sur la petite pile, Milan Kundera, auteur tchèque. Je l’ai à peine commencé. Un homme et une femme. Ils s’aiment. Ils ont tous les deux une histoire, un passé. Un ancien ami de l’homme meurt. Pour le moment, c’est tout. Quelques réflexions intéressantes. La couverture neuve est douce, mais mes doigts légèrement humides de sueur y accrochent, comme à un plastique trop jeune. Ma main gauche s’en approche doucement, et l’attrape par la tranche ; je sens l’étiquette du prix encore collée au dos. Machinalement, je feuillette le livre à hauteur de mon nez. Son odeur est peu présente, à la fois acidulée et un peu sucrée. En-dessous de lui, dormait « Les Paradis artificiels », que je n’ai jamais ouvert, tout juste feuilleté ; celui-ci a une odeur poudrée comme celle des camélias. Enfin, je n’ai jamais vu de camélias de ma vie, pas à ma connaissance tout du moins, mais j’imagine qu’avec un nom pareil – CA ME LIA – ces fleurs ont l’odeur romantique du XIXème bourgeois, comme les œillets ou les roses anglaises. Ensuite on trouve un mini dictionnaire espagnol-anglais que je n’ai sûrement pas encore utilisé. La pile est terminée par « Le Rouge et le Noir », et je ne sais même pas comment ce bouquin est arrivé ici, je ne pense pas qu’il soit à moi. Je n’ai d’autre bibliothèque que cette pile qui ne reflète absolument pas ce que je suis, autrement que par le fait qu’elle soit là, poussiéreuse et abandonnée, et qu’elle hurle à quiconque entre ici « Attention cette fille n’est pas une intellectuelle ! Et si vous ne l’intéressez pas plus que nos pages jaunâtres, voyez ce qu’il adviendra de vous ! » Et alors ? Je lis peu. Je ne sais même pas si j’aime lire ou pas, je n’en prend juste pas le temps ; je n’ai peut-être pas le courage de me jeter à corps perdu dans la prose d’un étranger. Je lis peu. J’aimerais être une fille intellectuelle, fine d’esprit, un peu bohême, mais je crois que ce n’est juste pas fait pour moi. Les lunettes, le pull noir informe, le papier. Je lis peu, mais parfois je me met à lire et ne m’arrête plus. Je crois que je dois aimer ça, une fois que j’ai eu le courage de m’y plonger. Je repose les livres que j’ai déplacé, dans le même ordre, avec le même angle d’inclinaison qu’avant. Faire comme si je n’y avais pas touché… Pour oublier que je me sens coupable de faire ça, tripoter les livres, les sentir, puis sans en lire une phrase, les reposer, parce que je n’ai pas le courage d’affronter le contenu qui se cache derrière un titre tel que « L’Identité ». J’aime les livres sans aimer lire ; comme j’aime cuisiner sans aimer manger. Peut-on apprendre à aimer ? | |
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