Bételgeuse
| Sujet: Fragment #64 - L'appartement vivant 13.04.08 19:10 | |
| Mercredi 11 octobre 2006 à Dijon Je n’en crois pas mes yeux. Pourtant, j’ai beau écarquiller les paupières comme une débile mentale, rien ne change. Sa silhouette gauche est toujours sur le pas de ma porte, surmontée de mèches folles, follement lui. Il a retiré son chapeau, qui pend mollement au bout de son bras. Tu ne prends même pas la peine de m’expliquer, ton absence, ta réapparition, et je ne t’en veux même pas ; car tu es là, Azulor, et derrière tes yeux brumeux, j’aperçois le papillon qui m’apporta un morceau de soleil, brillant et chaud comme ta voix hésitante. Même pas un bonjour, comme tu as raison, autant aller à l’essentiel. « Vous… euhm… voulez un thé ? » Je souris de la formulation bancale et maladroite de ta phrase. Je souris vraiment pour la première fois depuis de si longs jours, en murmurant un « oui » soulagé. J’entre à nouveau chez mon étrange voisin, j’ai l’impression que son appartement est vivant, tout y change tellement vite. On se croirait dans une brocante, les meubles sont patinés, fatigués, mais tiennent vaillamment sur leurs pieds gravés. Sur l’un des murs du salon, de vieilles théières et des boîtes en fer blanc ; à l’opposé, une énorme bibliothèque emplie de livres poussiéreux. Comment a-t-il trouvé la place de mettre un piano par ici ? Je le suis dans la cuisine, petite et encombrée. M’assieds sur la même chaise que la première fois. Tiens, je n’ai pas vu mon fauteuil-Morphée, il ne s’en est quand même pas débarrassé ? J’ai un pincement au cœur à cette idée. Sans un mot, il pose sur la table deux gros verres, une boîte décorée d’un champ de coquelicots, la boîte à sucre. « Ca donne envie de se jeter dedans, non ? » Il tourne la tête, surpris que j’aie brisé le silence. « Ca tache, mais si tu veux je te montrerai un coin sympa. » Emmène-moi danser dans les tournesols, et plonger dans les coquelicots, fais-moi tourner et oublier, je t’en prie fais-moi oublier, rend-moi meilleure, explique-moi comment rire à nouveau. Non, je ne lui dis pas, mais je suis certaine qu’il arrive à lire dans mes pensées. Je m’agrippe au verre, dans lequel repose à présent un liquide ambré, et j’imagine que cette chaleur qui parcourt mes vaisseaux sanguins est celle de sa main posée sur la mienne. Mes yeux parcourent l’ondulation de ses cheveux en bataille. Il relève la tête. Je sais pourquoi il détourne toujours le regard : sa profondeur est abyssale, et il est effrayant de se sentir s’y perdre. Tu le sais, n’est-ce pas ? Tu sais que tes yeux peuvent mettre mal à l’aise, et tu refuses de t’en servir comme arme. Mais laisse-moi en profiter un peu. Tes yeux couleur ciel d’orage sont rassurants à côté des semaines que je viens de passer. | |
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