Fragment #4 - Fin périodique, sentier infini

Et tel le cycle de l’eau, la vie reprend son début, chaque année, à la même date.
Je suis dans le froid et les ténèbres de décembre. Ma grande silhouette longiligne déambule dans les Allées du Parc. Derrière moi, le grand cône scintillant continue de répandre sa lumière infecte à mes yeux. J’aperçois une tache lumineuse, au loin : c’est l’hôtel des Allées, le seul bâtiment éclairé aux alentours. Je suis sorti prendre l’air, étouffé par le réveillon de Noël copieux et un peu arrosé de la veille. Chaque pas me semble un pas de plus vers la liberté, vers la vie, alors je les fais bien résonner sur le sol gelé. Pourtant, à chaque seconde qui passe, j’agonise de plus en plus, la carcasse de mon esprit commence même à se décomposer. Je suis gelé, même mes mains gantées se réfugient dans les poches de mon manteau noir. Je sens le froid ronger mon nez, et mon souffle produit un brouillard éphémère, qui recouvre mes yeux à demi fermés.
J’approche de la Lumière des Allées. Mon corps est envahi d’une énergie mystérieuse, j’accélère légèrement mon pas, tandis que je ressasse les mauvais moments de la journée. Le ciel sombre et si clair à la fois, d’une teinte orange sombre, semble devenir progressivement rouge bordeaux, un rouge sombre, un rouge sanguin. La Lumière devient plus intense. Mes yeux sont à présent presque fermés, et je les cache derrière le bord de mon chapeau. Seul, au milieu de cette bande d’asphalte infinie, je continue de marcher, pour mieux m’achever.
Vêtu de noir des pieds à la tête, j’assiste à mon propre enterrement, j’entendrais presque un requiem moribond dans ma tête. D’ailleurs, je l’entends. Une mélodie macabre s’empare de mes neurones malades, profitant de l’inconscience qui règne dans mon unité centrale. Ça devait être Noël, et ça ressemble plus à Halloween. Comme chaque année.
Pourtant, j’aime les fêtes de fin d’année. J’ai même vu le vieux barbu en rouge hier soir. Il descendait de la Tour de Barre, pour atterrir place de la Libération, au plus grand bonheur des petits… et grands enfants. Je croyais ne plus y croire. Mais non, il existe bien, et j’en ai la preuve, au fond de moi. C’est merveilleux de se savoir reconnu par un être immatériel, même si il est immatériel. Cependant, c’est mon décès que je fête chaque année. Je célèbre la fin de mes souffrances, le coup de grâce qui me fait perdre connaissance.
J’avance encore sur le sentier infini de mon agonie. J’ai passé la lumière depuis un moment, je suis à présent au bord du tournant, et je peux apercevoir le petit banc en pierre, le seul sur lequel je m’assois, même si il est gelé. Je m’arrête enfin. Je me sens essoufflé, pourtant je n’ai fait que marcher, et à une allure normale. Je regarde la statue du rond point, toujours éclairée, même si personne ne la regarde jamais, surtout à cette heure. Je me sens vide, même si tout à l’heure, j’aurais cru exploser. Je scrute le sentier de l’Infini une dernière fois avant de repartir en sens inverse : je vois une silhouette singulière, à ma gauche, sur le sentier. Lointaine, elle semble ne jamais s’approcher, et en même temps, arriver en trombe. Etrange. Je n’ai pas l’habitude de voir quelqu’un ici à cette heure. Je décide d’ignorer l’ombre, et je reprends mon chemin, en lui tournant le dos.