Fragment #13 - C’est ça, la loi de l’'Océan

Belle journée. J’aide ma mère à préparer le repas pendant qu’elle me parle de je ne sais quelle émission qu’elle a vu hier soir. Le soleil luit sur les assiettes vides, qui reflètent sa lumière. Petit à petit je noie la conversation, et mes mains sous l’eau, pour les laver.
Maman. Une jeune et belle écossaise qui rencontre un charmant jeune homme, français. Une naissance : la mienne. Puis une encore : Roxanne, ma sœur. Sortis tout droit des eaux profondes, telles un monstre imaginaire pointant sa tête périscopique hors des eaux noires du Loch Ness. Cette vie au rythme de mes courants, balayée par le vent. Tantôt tsunami dévastateur, tantôt eaux calmes d’un lagon désert. On est comme ça dans notre petite famille. Colorés par des récifs dont les coraux décorent le fond, et, à la fois, sombres et froids comme les profondeurs de l’Arctique. Océan de vie, ambiguïté aquatique.
La journée passe, tranquille. La luminosité diminue en fonction du temps, on a l’impression que la ville entière est un sous-marin géant explorant la faune aquatique du vide de l’Intersidéral. La bataille navale va commencer. J’entends presque le sonar de l’ennemi, qui approche. Cet ennemi. Mon cœur vacille dans ma coque, tel un trésor caché au fond de la cale d’un galion menacé par un bateau-pirate. La lassitude, l’ennui. Le remord de ne pas savoir quoi faire alors qu’on a tant à faire. Je rame.
Certes, mais mes torpilles sont pointées dans toutes les directions. Sans exception. J’engage la partie. Ennemi à tribord. J’attrape mon stylo et remplis les dossiers qui traînaient sur le canapé. Encore et encore de l’administratif. Ce fut vite fait, touché-coulé. Les moussaillons de mon sang sont encore assez agités, cependant. Je suis encerclé, mais je ne capitulerai pas.
« James, j’arrive pas à faire un truc ! » Tout le monde sur le pont. Ma sœur a du souci avec ses devoirs. « Trop facile ! C’est des maths de seconde ! » Elle soupire et je lui explique tout en deux temps trois mouvements. Bon, elle a pigé. Le catamaran est coulé. F4 : deux tas immenses de vêtements à plier et ranger. Je remonte mes manches. Touché. Bon d’accord, je me suis contenté parfois de fourrer ça illico dans l’armoire, mais j’ai pendu le reste. Il ne coulera pas, mais il est hors d’état de nuire. J’aperçois le téléphone. E5. Je dois rappeler la dermato pour déplacer un rendez-vous qui tombe un jour d’examen. Une sonnerie. Elle résonne comme le bip périodique d’un vaisseau se déplaçant dans l’ombre. Deux sonneries. Bon sang, j’espère que le cabinet est encore ouvert. Trois… Une voix. Touché-coulé à nouveau.
Le calme revient progressivement. Je n’ai plus de torpilles à tête chercheuses, il ne me reste que les basiques, difficile à manier, et s’épuisant très vite. Mais il reste un navire. Un porte-avion gigantesque. Je décide quand même d’attendre que la surface de l’eau, agitée, devienne lisse et reflète le ciel, telle un miroir. Drapeau vert sur les côtes. Personne d’autre que moi ne peut plonger, je suis le seul à pouvoir et à devoir le faire. Les profondeurs sont calmes, maintenant. Un silence de Mort avant la tempête du semestre. Je sors mes cours. Les exams ont lieu la semaine prochaine. Feu.