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 Fragment #12 - Rendez-vous

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2 participants
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Mirak

Mirak



Fragment #12 - Rendez-vous Empty
MessageSujet: Fragment #12 - Rendez-vous   Fragment #12 - Rendez-vous Empty29.07.08 16:11

Mardi 29 juillet 2008,
à Paris

19 heures 13. J’ai dix-sept minutes d’avance. Incroyable, quand on sait que je me considère habituellement à l’heure quand je n’ai qu’un quart d’heure de retard. J’ai envie de faire ça bien, sérieusement. J’ai envie de croire que cela servira à quelque chose. A quoi exactement, je n’en sais rien encore.

J’ai pris conseil auprès de Mathilde. Elle m’a recommandé l’adresse. Elle ne pratique pas personnellement, mais en a entendu dire beaucoup de bien de la part de plusieurs personnes. Je sais que c’est un peu léger, mais de toute façon je n’ai pas la moindre piste d’une alternative valable. J’ai bien demandé à Maman, mais elle ne m’a indiqué que des fantaisies en tout genre fréquentées par ses connaissances mondaines dans le but de s’occuper.

25A78. Je pianote le code d’entrée, passe un premier escalier ridiculement prétentieux par rapport au standing très moyen de l’immeuble, entre dans une cour, et je m’arrête. Je suis vraiment trop en avance. Je ne veux pas paraître nerveux. Je m’adosse contre un mur, et allume une cigarette, ce que je regrette aussitôt. Je vais sentir la fumée quand j’entrerai, et je n’ai aucun endroit où jeter mon mégot si ce n’est par terre, ce qui ne me plaît pas trop.

19 heures 29. Je sonne à l’endroit indiqué. Il m’ouvre immédiatement, me salue sans un mot, en me serrant la main. Il ne pose aucune question et ne dit rien de particulier pour lancer l’entretien. Il m’indique un gros fauteuil dans lequel je m’assieds, et fait de même avec son jumeau, face à moi, de l’autre côté de la pièce. Il n’a manifestement pas prévu d’entrée en matière.
Bon, je fais quoi maintenant ?
Quoi, c’est à moi de commencer ?
Apparemment…
Mais c’est ridicule, enfin…
Comment veut-il que…
Qu’est-ce que je pourrais bien…
Peut-être que…
Ah si, je sais, je vais…
Je ferme les yeux, marque une pause dans mes pensées, essayant de les mettre au clair. Bloqué. Je suis bloqué. Je me rends compte que je suis complètement crispé sur mon siège, les mains ferment agrippées aux accoudoirs, le dos contracté dans une position fort peu confortable, et les jambes légèrement repliées vers moi-même. Je me force à me détendre, m’avachis un peu dans le siège, respire calmement et ferme les yeux à nouveau.

Quand je les rouvre, c’est lui que je vois. Il a l’air d’avoir une petite soixantaine, signalée par quelques rides marquées sur son front, des poches sombres sous les yeux, et un crâne largement dégarni à part une couronne de cheveux blancs sur les côtés et à l’arrière. Ses grandes oreilles aux lobes tombants sont parfaitement assorties au gros nez mou qu’on attribuerait volontiers à un ivrogne, la couleur en moins. Son embonpoint se cache derrière un chandail bordeaux trop grand, au col ouvert en V, raccommodé par de grandes pièces de cuir ovale aux coudes, enfilé par-dessus une chemise vichy rouge au col élimé avec lequel il jure affreusement. Un pantalon trop court en velours côtelé râpé et kaki et des chaussures indéfinissables viennent compléter cet accoutrement. Un frisson me parcourt. Je l’observe, mais pas lui. Il a le regard perdu dans le vague, apparemment sur le sol, loin devant lui, à sa gauche. Il est imperturbable et me laisse détailler sa médiocrité abjecte sans sourciller. Je remarque un léger strabisme divergent.

La pièce est effroyablement moche, et baignée d’une vague odeur de renfermé, de moisi, et de vieux. Ce petit rez-de-chaussée sur cour à peine louable comme chambre d’étudiant est faiblement éclairé par une lumière grisâtre venue de l’extérieur qui donne un aspect sinistre à une moquette couleur dégueulis entachée d’une sorte de crasse dans les coins, à une grosse armoire rustique dont le bois sombre est complètement piqué, et aux deux fauteuils de cuir noir capitonné tout droit sortis de la plus infâme des brocantes. Près de la porte d’entrée, une simple planche de contreplaqué posée sur deux tréteaux, faisant office de bureau, disparaît totalement sous des piles de dossiers. Une lampe en métal des années soixante, posée en équilibre au sommet d’une pile de papiers, tente de redonner un peu de lumière à l’ensemble, mais ne parvient pas à percer la couche de poussière qui recouvre l’abat jour en grosse toile beigeasse. C’est à peine si un halo jaune blafard vient éclairer une partie des murs, totalement dénudés, qui fatigués d’avoir été blancs depuis trop longtemps, sont devenus crème-crasseuse. Un silence palpable pèse sur l’ensemble, remplit l’espace, s’immisce dans chaque recoin, mais paradoxalement chaque élément de ce décor cauchemardesque hurle la tristesse, la dépression, la léthargie, l’apathie.

Je suis effaré par le constat que je viens de faire. Qu’est-ce qui a pris à Mathilde de m’envoyer ici ? Et l’autre timbré, là, il va dire quelque chose ? Il ne s’est pas endormi quand même ? Je regarde ma montre. Trente-deux minutes que je suis là, et il ne s’est rien passé. Je me racle la gorge, pianote avec mes doits sur l’accoudoir, soupire un peu bruyamment, change de position plusieurs fois. Rien n’y fait, pas de réaction en face. J’abandonne.

20 heures 15. Soudain il s’anime, semble reprendre conscience de la réalité qui l’entoure, me regarde brièvement, se relève, tire sur son pantalon, et se dirige vers la sortie.
« On va en rester là pour cette fois.
- …
- Cela fera 60 euros. »

Je paie et prends congé au plus vite. Il faut que je fuie, que je retrouve le vent tiède, le bruit des voitures et des passants, la lumière dorée du soleil déclinant, l’odeur d’une soirée d’été. Tout a l’air si violemment vivant en dehors de cet effroyable endroit. Et dire que je dois y retourner la semaine prochaine. En sortant de l’immeuble, je ne peux m’empêcher de cracher mon mépris sur la plaque dorée qui indique à l’entrée :

DOCTEUR ANDRE LEVOISIN
PSYCHIATRIE - PSYCHANALYSE LACANIENNE
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Altaïr

Altaïr



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MessageSujet: Re: Fragment #12 - Rendez-vous   Fragment #12 - Rendez-vous Empty29.07.08 21:24

Bon, ben c'est pas toi qui va me convaincre d'aller dans ce genre d'endroit du coup ^^'
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http://etoilesdencre.com/
 
Fragment #12 - Rendez-vous
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